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Retour sur Broadway : acte 3, scène 3 : Le triomphe (suivi d'une carte postale de Chœur Antique)

Le triomphe - Où le narrateur se demande bien ce qu'il voulait dire par là.

première version :
https://soundcloud.com/witold-bolik/le-triomphe-suivi-dune-carte

Après La rencontre, le Départ, vient le Triomphe à Broadway. J'ai réservé pour ce précieux moment l'arrivée d'un quatrième personnage, représenté par une guitare jouée - pour l'unique et décisive fois de tout l'opéra - sur toutes ses cordes en même temps : L'Orchestre - l'entité collective formée par A, B, et Chœur Antique même s'il n'est pas là, et tout le monde, en fait. Quand il y a des gens j'invite les motivés à faire des chœurs gospels, des overdubs en direct, et à participer à ces cinq secondes de gloire aux paroles fédératrices : "Quand on sait qui on est, la réussite c'est très surfait".

Ce texte profond est difficile à interpréter ; ma mauvaise intention de base était de me moquer de ces groupes pop indie populaires à succès qui nous sermonnent sur la relativité du succès et de la popularité, des riches qui nous expliquent que l'argent n'est rien, des membres d'une communauté qui t'exclut qui t'expliquent que la solitude te sera bénéfique et que c'est pour ton bien qu'ils te snobent. Quelle mauvaise intention !

J'en étais à vouloir changer les paroles quand je me suis rendu compte de ça, du moins la première partie : "Moi j'aime bien le poulet, la réussite c'est très surfait". Et puis non (encore que ça reste une option). J'ai préféré lui donner de meilleures intentions : un slogan d'intégrité artistique : si l'on sait ce vers quoi tendent les chansons, ce qu'on a à dire (d'un "on" sans ego, plutôt ce qu'il y a à dire donc) et à jouer, la réception du public passe au second plan. La première chose à "réussir", ce sont les chansons. Ou alors : un truc existentiel pessimiste, à prendre à l'envers : "Si je ne sais pas qui je suis, si je ne me connais pas moi-même, que cet échec soit fortuné, chanceux, aimable et populaire ou le contraire, mon existence n'en demeure pas moins un échec."

Moui. Bon, en somme on peut bien faire dire ce qu'on veut à ces quelques mots triomphaux, et tant mieux (quand il ne s'agit pas de crétins identitaires, mais je n'ai jamais été confronté à ce risque, si un jour il se présente, j'aurai recours au poulet) ; l'important est qu'ils soient joués fort, sur toutes les cordes, et si possible avec une pointe de vulgarité dans l'accent (comme quand les chanteurs de variété font retomber les "é" de leurs mots en "hey" : "quand on sait qui on wouey, la réussite c'est très surfhéééy").

Car en somme, c'est un gag. S'ensuivent les remerciements, généralement augmentés dans les présentations mais toujours terminés a cappella. Je n'ai encore jamais osé faire rimer "on espère que ça vous a plu" avec "que vous ne baisserez pas la tête quand vous nous croiserez dans la rue" - mais je travaille encore à assumer un tel sens de l'humour. Le "merci d'être venus" peut sonner selon les situations sarcastiquement ou joyeusement, et un silence pendant lequel, quand il y a des gens, ils décident d'applaudir, d'huer, de partir, ou de se taire. (notons que tout cela est valable même quand on est tout seul. Ne vous arrive-t-il pas d'être "content d'être là" tout seul chez vous, au point de vous remercier d'être venu (au monde) ? Moi si, parfois, quand il fait beau et que la bière est fraîche.)

Puis le générique, une improvisation, soit sur le thème du premier interlude, soit sur quelque chose qui rythmiquement puisse rappeler le Brésil, d'où Chœur Antique nous envoie sa carte postale. Lights et danseuses à part, un schéma de finale parfaitement réglé. Broadway.

Et après, on plie.

version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/album/comment-jai-conquis-broadway-r-p-tition-2015
version jingle du Triomphe seul :
https://soundcloud.com/fuligine/le-triomphe-a-capella

livret :
Sur scène. A guichets fermés.

3 et 4 - "Le triomphe", suivi d'une carte postale du chœur antique

Grand finale et remerciements, suivi d'un tonnerre d'applaudissements.

L'Orchestre : 
"Quand on sait qui on est
La réussite c'est très surfait"

Merci à tous
On s'appelle witold bolik
Au métallophone : B
A la guitare : A
Le chœur antique est au Brésil
On espère que ça vous a plu
Merci à tous d'être venus

Merci à tous d'être venus.

Retour sur Broadway - Acte 3, scène 2 : Trahir

Première version :
https://soundcloud.com/witold-bolik/trahir-comment-jai-conquis

Trahir - Où le narrateur retourne sa veste, constate que contrairement à celle de Gainsbourg elle n'est pas doublée de vison, du coup la reretourne puis se dit finalement qu'il fait assez beau pour s'en passer et se décide à l'enlever.

N'écoutez pas ce que disent les sous-titres, c'est n'importe quoi. Les sous-titres en gras nous mentent. Sus aux sous-titres !

Bref. Tout ça pour dire que je ne sais par où commencer. C'est une scène très complexe. Il y a même du jeu d'acteur avec une espèce de voix off, un monologue intérieur de A et B à la fois : comme c'est précisément du jeu d'acteurs, et que j'en suis un des plus mauvais, j'ai dans la dernière version réduit la réplique à deux syllabes : "qu'un leurre" (qui fait bien sûr écho à "ça n'était..." de la scène précédente, dont il brise d'un coup l'élan exalté, je rougis pour vous d'avoir à le rappeler).

Après, c'est l'idée qu'on ne peut pas changer ni évoluer sans trahir. Trahir des préjugés, trahir des positions de principes, pour en adopter d'autres qu'on trahira plus tard, etc, c'est une vision qui se défend (je ne dispose même pas des moyens philosophiques pour développer plus que ça : est-ce que c'est "Positiviste", est-ce que c'est "Progressiste", est-ce que c'est "Pragmatique" ? Je ne sais pas, c'est de la Pop, je suis zikos tsé, je suis un peu bête). C'est quand il s'agit de trahir une personne en particulier, de trahir une relation, que le point de vue qui paraissait aller de soi pose un dilemme moral. Trahir des idées qui ne sont plus adaptées à notre vécu paraît sensé, sinon nécessaire à terme ; me trahir moi quand je me montre décevant, ou décider consciemment de trahir quelqu'un qui me déçoit, c'est autre chose. Exaltation donnait le point de vue contraire sur la ville par rapport à Lamentation. Trahir développe Choisir.

En fait, je disais au début que A et B n'étaient que des concepts et pas des personnages, mais, si l'interprète fait bien son boulot, deux actes et demi les ont fait devenir des personnages. Et qu'ils en viennent à vouloir se trahir l'un l'autre pour mieux progresser chacun de leur côté est censé toucher l'auditeur, si, si.

Et, ce que je signifie lourdement dans la version radio en criant hystériquement "alerte acmé", le revirement de situation avec le rappel mélodique (en plus grave, ralenti, hésitant) de la scène 3 du premier acte - La Rencontre, je vous avais dit que c'était ma préférée - est donc censé dénouer toute cette tension. Quand je l'ai joué en public, Zoé, 8 ans, m'a demandé : "Pourquoi ils peuvent pas" ? La vraie réponse est : "Parce que l'auteur est purée de fleur bleue et aime les histoires qui finissent bien, même tirées par les cheveux". L'officielle est celle-ci : A et B repensent à leur rencontre, se rendent compte qu'ils sont devenus des personnages, une entité, qu'ils sont dans l'incapacité morale de se trahir l'un l'autre, et donc qu'ils conquerront Broadway ensemble. Pur mélodrame. Si si. On est passé très près d'une fin tragique, où A et B se déchirent pour obtenir leur propre succès, mais ouf, grâce à leurs scrupules, c'est le collectif qui gagne. D'où le "On" du titre de l'acte. Ce qui "nous" mène tout droit au triomphe.

On note que dans la version 2015, je trahis de 6 secondes la contrainte minutaire. Désolé. Je l'aime lente, celle-ci.

version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-3-on-sappelle-wb-sc-ne-2-trahir

livret :

Sur la corde raide. Ad hoc. 

2 - "Trahir" 

La réponse à "Qu'est-ce que ça n'était ?" est donc : "Qu'un engouement passager". Happés par les charmes de la grande ville et aveuglés par leur soif de réussite, B et A entament chacun dans leur coin une sympathique (quoiqu'un brin cynique) ode à la trahison. In extremis, le souvenir de leur rencontre leur fait réaliser que leur attachement profond, etc. 

A/B : ... Qu'un leurre. 

B - Trahir ses illusions n'est pas une mauvaise chose 
Trahir ses déceptions c'est voir la vie en rose 
Trahir ses préjugés c'est le début d'autre chose 
Et trahir A est pour moi un choix qui s'impose 

A - Trahir ses illusions n'est pas une mauvaise chose 
Trahir ses déceptions c'est voir la vie en rose 
Trahir ses préjugés c'est le début d'autre chose 
et trahir B est un choix qui pour moi s'impose ! 

(Aperçoit B) - Tiens, te voilà, toi ! Tu ne voulais pas nous trahir quand même ? 

A et B : - Non... Je ne peux pas...


Retour sur Broadway - Acte 3, scène 1 : Exaltation

Exaltation - où après une interruption de quelques semaines, vraisemblablement passée inaperçue, le narrateur reprend le fil de la série.

Première version :
https://soundcloud.com/witold-bolik/exaltation-comment-jai-conquis

Exit donc Chœur Antique. Place à la success-story promise dans le synopsis. A et B sont arrivés dans la Grande Ville et s'émerveillent ici de ce qu'ils y voient. Constitué pour sa partie centrale d'une accumulation (dont je serais ravi qu'elle puisse évoquer le Katerine de "Combien d'hommes" entre autres, voire le Prévert des inventaires qu'il est de bon ton de pourrir aujourd'hui dans les salons, mais auquel je reste attaché), le texte change à chaque interprétation. Il est vrai que quant à moi j'aime beaucoup placer médias et producteurs au milieu des parcs, des fleurs et des portes giratoires, sur le même plan, et que si je suis plus souple sur les trottoirs et les bâtiments, je me passe rarement des deux groupes nominaux véritablement écrits (les officines de restauration rapide et les véhicules motorisés).

(Va savoir pourquoi rejouer Exaltation m'a donné envie de réécouter ça : la grande ville L. A., les deux phrases phares "l'autre fois j'étais à deux doigts de foutre tout ça en l'air" et "Si Patience montait un groupe, je serais son premier fan" ? Ou juste Eliott Smith ?)



C'est un de mes très rares (je n'en compte que deux, et j'ai bien dû en écrire 100 ou 200 à vue de nez) morceaux où je fais du tapping (manque de bol en plus, c'est un Fa et ça fait mal aux doigts). Forcément, je n'ai que deux mains et l'autre tient la baguette du métallophone. En ce sens c'est le seul véritable duo de l'opéra, où A et B jouent simultanément. L'interruption du dernier refrain était accidentelle au départ, ça m'amusait d'imaginer A et B se baladant dans la mégapole, un peu infantiles, naïvement interpellés par le moindre détail de ce qu'ils voient, purs touristes, un peu bêtes peut-être, en tout cas blasés de rien, comme j'aime être dans les villes que je ne connais pas et comme je rêve souvent de continuer à être dans celles que je connais bien ; et je constatais que le dernier refrain était tronqué si je m'en tenais à la contrainte minutée. Cet accident a donné lieu à un ultime rebondissement, comme on verra dans la prochaine ; pour l'instant, "Tout semble nouveau".


version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-3-on-sappelle-wb-sc-ne-1-exaltation

Livret :
À bon port. Enfin.

1 - "Exaltation"

A et B sont à destination. Émerveillés, ils entonnent un duo, oublient le temps et nous posent la question : "Qu'est-ce que ça n'était ?". (Comme pour "Choisir", les vers peuvent être mis à la place qu'on veut, l'impératif étant cette fois-ci la NON-clôture).

A et B : 
Tout semble nouveau
Tout semble enfin 
Nouveau
Ça n'était pas trop tôt

Des trottoirs
Des bâtiments
Des gens
Des lumières
Des officines* de restauration rapide
Des véhicules motorisés
Notamment des automobiles
Des portes giratoires
Des parcs
Des fleurs
Des animaux domestiques
De nouveaux bâtiments
D'autres gens
Des médias
Des producteurs
Des trottoirs
Des portes giratoires
Des officines de restauration rapide
Des véhicules motorisés 
Notamment des automobiles

Tout semble nouveau
Tout semble enfin nouveau
Ça n'était...

_______
* Officine : "Endroit [...] où se préparent de mauvaises choses". http://fr.wiktionary.org/wiki/officine



Retour sur Broadway - Interlude n°2 - "One note samba"

One note samba - travail en cours, titre provisoire

première version :

Il s'agit ici de confronter au dogme broadwayien un standard. Et si mon côté fillette y trouve également l'occasion de chanter une chanson d'amour (minimale - pour un mini-mal d'amour), c'est parfait. Et si cette chanson d'amour condense et transcende avec intelligence, humour, sensualité, les quelques idées musicales qui sous-tendent l'opéra, ce sera celle-ci. Je prononce assez difficilement l'anglais, suis moyennement calé rythmiquement et il m'a fallu tronquer quelques mots pour minuter cette reprise. Nul doute que c'est pour ces raisons objectives que les radio-crochets les plus prestigieux dédaignent généralement mes efforts, mais ce qui me semble beau (j'ose le mot mais les âmes sensibles peuvent remplacer par "cool" s'ils l'entendent mieux) là-dedans, et ce qui donne à l'ensemble plus d'horizon que ça n'en donne l'air, c'est justement la difficulté de ce moment de l'opéra. Je n'aime pas le mot "performance", je préférerai celui d'étude. A celle-ci j'ajouterai éternellement : "en cours".

Pourquoi en anglais ? Parce que la seule traduction française que j'ai trouvée est celle de Sacha Distel, et que je la déteste (elle contient le mot "sarabande" : c'est tout dire). Parce que je ne connais pas suffisamment le portugais pour m'amuser avec le sens des paroles en les illustrant avec mes moyens minimaux. Comme j'aime aggraver mon cas, je propose ci-dessous cette surtraduction amusicale et bavarde, en cours à jamais aussi ; je fais ce que je peux.

C'est une simple petite samba construite sur une note unique ; d'autres suivront mais la base reste cette seule note. Cette nouvelle note à présent, est la résolution de la précédente - tout comme moi je veux être l'ultime résolution de toi.
Il y a tellement de gens qui bloguent et twittent et parlent et parlent pour ne rien dire, ou pas grand chose ; j'ai utilisé toutes les gammes que je connais pour à la fin n'arriver à rien. 
Alors je reviens à ma première note comme je dois revenir à toi ; je mettrai dans cette seule note tout l'amour que j'ai pour toi. A quiconque réclamera l'intégrale du show, ré mi fa sol la si do, je dirai que c'est fermé, que c'est relâche, qu'il n'y a pas de show : mieux vaut s'en tenir à ce qu'on sait faire, et je ne sais plus jouer que cette note. Better play the note you know : je fais ce que je peux, comme je disais.

C'est ainsi que Chœur Antique nous dit aurevoir. Après la théorie, place à la pratique. Place aux jeunes énervés en quête de gloire : A et B sont partis dans la Grande Ville, et n'ont plus qu'un acte pour la conquérir.

version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/interlude-n-2-one-note-samba-jobim-mendon-a

lyrics :

[This is] just a little samba
Built upon a single note
Other notes are bound to follow
But the root is still that note

Now this new one is the consequence
Of the one we've just been through
As I'm bound to be
The unavoidable consequence of you

There's so many people
Who can talk [and] talk, [and] talk
And just say nothing
Or nearly nothing

I have used up all the scales
I know and at the end
I've come to nothing
[Or nearly nothing]

So I come back to my first note
As I must come back to you
I will pour into that one note
All the love I feel for you

Anyone who wants the whole show
Re mi fa so la si do
He will find himself with no show
Better play the note you know!



Retour sur Broadway - Acte 2, récitatif n°2 : "Ça a l'air bien"

Ça a l'air bien - Où le narrateur retrouve un brin de volubilité

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/second-r-citatif-a-a-lair-bien

Musicalement, il y a dans l'opéra quatre chansons dont la musique est en plus ou moins grande partie improvisée : on a eu "Choisir" et ses tripatouillages syntaxiques ; celui-ci, qui se contentait au départ de deux accords répétés à volonté, s'est enrichi au fur et à mesure d'espèces d'envolées mélodiques, et en fait désormais partie. C'est le morceau où il y a le plus de texte, et celui qui se rapprocherait le plus à mon avis d'une espèce de spoken word en français. (C'est un morceau très long que celui de Jeffrey Lewis que je mets ici, et dont les non-francophones comme moi devront lire et traduire le texte pour l'apprécier - mais la variation minimale de la mélodie de voix dans cette poussée désarmante dans les aigus vers la fin, c'est de ce genre d'effets que j'essaie de parler, c'est sur ce genre de magie que je louche).



Dépassé par des événements dont il considère qu'on l'a très peu tenu au courant, Chœur Antique nous apparaît dans toute sa vulnérabilité, susceptibilité, et peut-être débilité - je suis habitué au rythme ternaire en prose, c'est un tic, faites pas attention. Volubilité plutôt tiens ! Du côté de l'action, comme je le suggérais plus haut, on ne sait pas si A et B, devenus une entité, sont à la sortie d'un tournant psychédélique qui leur fait délirer toute la suite ou s'ils partent effectivement à Broadway, mais dans les deux cas ils n'ont plus besoin d'un commentateur ou d'un modérateur, mais plutôt de faire taire leur conscience et de se lancer dans l'action. 

"Ça a l'air bien, mais je n'ai pas tout compris" doit être une des phrases que j'ai le plus entendues lorsqu'il m'est venue l'idée saugrenue de me mettre en quête de retours sur ce que je fais. Sa gentillesse désengagée et nonchalante m'a toujours décontenancé, et je suis content de me l'être réappropriée ici.

Chœur Antique se proposait d'être leur Fée Clochette, dans une version sans effet spéciaux ni miniaturisation numérique ni baguette magique : aussi pataud et simple que moi. Mis de côté dans le planning du départ, subtilement démissionné, incertain ni des conditions du trajet ni même de la réalité de leur voyage, il s'en remet à sa destination musicale idéale à lui : le Brésil.

Patrie de la saudade, le "manque habité" disait Barouh je crois, la mélancolie douce et la nostalgie cultivée pour elle-même, pour sa beauté qui nous ferait regretter de retrouver tout ce dont quoi à présent on s'est voué à se languir. Et Jobim, "One note samba", prise par la manche plutôt que "détournée", tout à l'heure, comme un hymne aussi prématuré qu'involontaire de l'opéra et de la vie.

version 2015 - 1
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-2-starmanie-d-pressive-r-citatif-n-2-a-a-lair-bien


livret :
 Second récitatif - "Ça a l'air bien"

Chœur antique est dépassé par les évènements. Après une tentative d'analyse, il admet qu'il n'y comprend rien et s'en remet à la musique brésilienne.

Alors là, j'avoue que ça va
un peu vite pour moi.
Ça a l'air bien mais je n'ai pas tout compris.
Que d'ellipses, que d'ellipses !
Remettons à plat tout ça :
C'est la Bérézina en ce début de deuxième acte : tout le monde ne fait que se plaindre (et citer Starmania).
J'arrive et j'essaie d'y mettre le holà mais non,
Ces deux-là ne font que se liguer contre moi pour mieux pleurer ensemble.

Après en douce ils forment un ménage et les voilà partis en voyage.

Alors moi je sers à quoi ?
Comment résumer ce que je ne comprends pas ?

Si personne ne me dit rien, ne me reste qu'à faire
de la samba.



Retour sur Broadway - Acte 2, scène 3 : Le départ

Le départ - Où le narrateur, pris de migraine, renvoie l'auditeur et le lecteur à la chanson et au livret.

première version :
https://soundcloud.com/witold-bolik/le-d-part-version-censur-e

Je ne sais pas quoi dire. C'est dans la chanson, et ce qui n'est pas dans la chanson est dans le livret, ce qui n'est pas dans le livret ni dans la chanson sera dans le récitatif qui suit. Tout est dans tout, et vice versa. C'est une envolée et un trajet, le début d'un road ou d'un bad ou d'un good trip. C'est le morceau psychédélique, en quelque sorte. A prend B par surprise, et le contre-pied radical d'une période de désespoir profond d'au moins une minute et demie, à laquelle il met fin d'un coup, poussant Chœur Antique à la démission. Ça devient maximaliste : un twist dans le scénario, une intro, un riff, un refrain, un pont, une transition, des "mm mm", une fin affirmative et positive (en opposition avec le "non je ne peux pas" de La Rencontre), des paroles cachées recelant un début de note d'intention, que demande la pop ?


version 2015 - 1 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-2-starmanie-d-pressive-sc-ne-3-le-d-part
v2 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-2-starmanie-d-pressive-sc-ne-3-le-d-part-v2

livret :
3 - Le départ - version censurée 


Pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté, le résumé n'est pas disponible pour cette scène. Nous mettons par contre à votre disposition la version non-censurée du dialogue ci-dessous : 

B : comme c'était difficile de faire rentrer dans moins d'une minute la scène qui suit 
je tiens à signaler qu'on a coupé au montage mes réparties. 
Si ça me révolte ? 
(Oui). 
A - Vite, fais tes valises, on déménage ! 
(B - Hein ? où ça ?) 
A - Loin, super loin ! 
Je t'expliquerai tout ça en chemin ! 
(B - Mais on sort ensemble ou quoi ?) 
A - Plus ou moins, 
Je t'expliquerai tout ça en chemin ! 
(B - Ne me dis pas qu'il s'est passé quoi que ce soit l'autre soir, je n'en ai aucun souvenir...) 
A - Ne sois pas bégueule ! Dois-je te rappeler que nous n'existons pas vraiment ? 
(B - Ce n'est pas que nous n'existons pas. Nous somme réduits à l'essentiel, à une note, à un trait - nous sommes stylisés. Un peu comme des haïkus de personnages, tu comprends ?) 
A - C'est très intéressant et j'aimerais beaucoup parler de ça avec toi, mais pas là ! Nous n'avons pas le temps donc 
Viens, fais tes valises, on déménage ! 
Je t'expliquerai tout ça en chemin ! 
B - oké.





Retour sur Broadway - Acte 2, scène 2 : Mourir

Mourir - Où le narrateur assure à mort, et s'en félicite. A juste titre.

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/asphalte-comment-jai-conquis?in=witold-bolik/sets/comment-jai-conquis-broadway

Il y a des phrases qui passent inaperçues dans les chansons de variétés et qui m'ont toujours fait sourire. Il y a "Tu ne seras jamais plus belle/que cette chanson qui t'appelle", saillie cinglante du créateur à toutes ses égéries, phrase délicieusement cynique et dandy, qui chantée par Gilbert Montagné dans "Sous les sunlights de tropiques" ne révèle pas à la première écoute toute son agressivité ; et il y a, dans "Le monde est stone", celle-ci : "je voudrais seulement m'étendre sur l'asphalte et me laisser mourir". J'avais envie de pousser le contraste entre cette formulation très neutre et le plus que penchant suicidaire, en présentant le fait de s'étendre sur l'asphalte et se laisser mourir comme une option parmi tant d'autres. Et puis faire toucher le fond aux deux personnages, puisqu'on était en plein milieu d'une comédie qui allait forcément bien se finir, et que sans drame, pas de rebondissement. A déplorait la solitude et l'ennui ; B a juste envie de mourir. 

C'est tellement simple, direct et sans appel que ça ne remplit même pas une minute. D'où l'intervention du Chœur antique, qui vient dire à A et B de laisser de côté Starmania et de se recentrer sur leur objectif, Broadway, dont ils semblent avoir tout oublié. Les deux vont bien se mobiliser, mais pas dans le sens espéré par Chœur Antique (qui, on le verra plus tard, ne se remettra pas de cet échec) et jouer pour la première fois ensemble, guitare et métallophone, A dépressif et B suicidaire, en reprenant le refrain mortifère : "c'est le deuxième acte, tout ne peut que mal se passer, tout ne peut qu'empirer". 

Les grosses différences entre la toute première version sont des changements d'octave : B au fond du trou une octave au-dessous, Chœur Antique beaucoup plus dynamique et une octave au-dessus. Le point commun : la guitare est à peu près sur les temps, comme un glas tributaire de la poigne du sonneur. (Bon oké, c'est juste que je me suis un peu loupé mais je déteste pas l'effet).

"Mourir" est un des morceaux les plus complexes et les plus structurés de l'opéra. En moins d'une minute on a trois moments distincts qui se succèdent, soulignés par trois "orchestrations" différentes. L'intervention du Choeur Antique se fait elle-même en deux temps, l'apostrophe puis l'injonction. La guitare reste sur son support et l'interprète vient pincer les cordes de mi et de ré puis de ré et de mi. La fin abrupte sur le mot "empirer" parlé/chanté de la voix la plus basse possible, doit être l'unique moment proprement théâtral de l'ensemble.

Bref. Quitte à ruiner ma réputation de modestie et de discrétion, mais pas celle d'amateur de jeux de mots pourraves, je le dis : Mourir, ça tue. 

version 2015 : https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-2-starmanie-d-pressive-sc-ne-2-mourir

Livret :

2 - "Mourir"

Bon, rien ne s'arrange. B est complètement stone et désire embrasser le bitume. Le chœur antique opte pour une intervention musclée, qui n'a pour résultat que de renforcer la pessimiste cohésion des deux protagonistes. Ils entonnent leur premier duo.

B - Quant à moi
"M'étendre sur l'asphalte et me laisser mourir"
Ne me semble pas
une mauvaise idée.

Chœur antique  - Hé, s'il vous plaît, sans vous offenser
si l'on pouvait arrêter les références à Starmania ça m'arrangerait
vous ne me semblez décidément pas très motivés
pour la conquête de Broadway !

A et B  - Oui mais c'est le deuxième acte : tout ne peut que mal se passer,
tout ne peut
qu'empirer.

Retour sur Broadway - Acte 2, scène 1 - Lamentation

Lamentation - Où il est question de kitsch

Première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/lamentation-comment-jai?in=witold-bolik/sets/comment-jai-conquis-broadway

Non mais, franchement, qui prendrait au sérieux un opéra-rock au budget de zéro euro, réalisé et interprété par un obscur clermontois à la polonitude usurpée, fauché, volontiers fâcheux, en tout cas bien fâché, qui ne s'arrêterait pas au kitsch de tout ça ? Eh bien soit, assume-toi vieux witold, ne nous voilons pas le kitsch, et laissons libre cours à notre penchant pour la parodie. C'est l'idée de ce deuxième acte, "Starmanie dépressive" (Je voulais à tout prix mettre ce titre en blanc sur noir, je suis pas certain de la réussite de mon effet, mais bon). Je crois que la manie dépressive est un diagnostic passé de date, et qu'on dit à présent bipolaire. L'excellent "Ours bipolaire" ayant déjà été pris par un groupe, et n'ayant de toute manière pas de référence d'opéra-rock à l'ancienne avec "polaire" dans le nom, je me suis satisfait de ce jeu de mots-là. Et j'ai pris ce que je me rappelais de Starmania. Le plus bizarre est qu'il ne me soit pas venu à l'idée d'utiliser "J'aurais voulu être un artiste", je me serais sans doute fait mieux comprendre. Mais ça ne m'inspirait pas, ce morceau a été trop de fois déjà parodié. J'ai choisi, dans un premier temps, "Quand on arrive en ville", dont j'avais un vague souvenir et que j'ai réécouté. Balavoine, en loubard de l'époque, exprimant sa rébellion et évoquant la crainte que lui et sa bande inspirent aux citadins lorsqu'ils débarquent pour tout casser. Révolte ! Destruction ! Maquillage et skais cintrés ! Choristes des années 80 !

Et en exprimant ce qui me paraissait le point de vue de A quand lui, forcément seul, "arrive en ville", lui qui n'a ni bande, ni skai, ni choristes ni même révolte et plutôt la flemme de tout casser, j'ai écrit la chanson la plus triste que je me connaisse. Un blues du sédentaire coincé dans une ville enclavée et une vie à moitié périmée. Toujours moins d'une minute, mais en commençant à inclure dans les miniatures des silences embarrassants. Comme des bouts de ce silence glacial des solitudes urbaines, des amitiés défaites, des bisbilles moisies que la poussière accumulée n'aide ni à démêler, ni à oublier, et qu'on finit par considérer comme faisant partie des meubles moches et sales de cuisines étriquées et autre adjectif dépréciatif.

Pfiou, ça me déprime, tiens. Heureusement que mes cinquante et quelques secondes de gloire sur l'émission La Souterraine, dont le programmateur a choisi cette chanson, viennent apaiser quelque peu cette déprime et rappeler que tout de même, tout cela est pour rire. Sans compter le soutien de Christel, de Gérald, du webzine Adecouvrirabsolument, des amis de Bruxelles, de l'animatrice Sev et du soundman Enrico, de deux Fred de mes amis, de Virlo, du Chapelier, de tous ceux que je ne remercierai jamais assez. A la vôtre, les copains. Surtout, à la joyeuse ambiance, à l'esprit de communion, de partage, d'inlassable découverte, de Clermont-Ferrand, et à la remarquable vivacité de sa scène musicale, et des structures institutionnelles qui la transcendent, pour l'inspiration. J'en fais trop, peut-être ? J'arrête.

Je vous mets la version instrumentale réarrangée, que je trouve réussie ; je commençais à jouer de la basse et il y en a beaucoup ; du point de vue de la grille harmonique, il y a des similitudes avec Late Sad Song, que j'ai composée un peu avant. Bon, c'est du blues en somme. Pas du buzinessman, ou alors plutôt en faillite, mais bien du blues. L'idée amusante était de terminer sur un accord majeur triomphal sur le mot "déprimant", pour laisser espérer une suite un peu moins morose (et, comme vous vous doutez, immédiatement décevoir cette attente).

version instrumentale réarrangée :
https://soundcloud.com/fuligine/lamentation-guitares-et
Version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-2-starmanie-d-pressive-sc-ne-1-lamentation

Livret :
En ville. Après. 

1 - "Lamentation" 

(A n'a pas la grosse pêche. Comme l'indique la tierce majeure finale, ça devrait s'arranger sous peu.) 

Quand j'arrive en ville 
j'y reste 18 ans. 

Je finis par connaître un peu de gens... 

mais nous nous sommes tous montrés aux autres si souvent 
si décevants 
que nous ne nous connaissons 
plus tellement. 

c'est un paradoxe amusant 
paradoxalement 
déprimant.





Retour sur Broadway - Interlude n°1 pour trois instruments

Interlude n°1 pour 3 instruments - Ach, Polly !

Première version https://soundcloud.com/witold-bolik/interlude-n-1-comment-jai?in=witold-bolik/sets/comment-jai-conquis-broadway

Pause dans l'action, et timide premier essai de "faire jouer" les trois instruments ensemble. Imprégnée par l'encore plus brève, plus encore essentielle, beaucoup moins basiquement tonale, et complètement magique introduction de Polly's Lied dans l'Opéra de quat'sous de Kurt Weill. Sans comparaison.


version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-interlude-n-1-pour-3-instruments

Livret :
Celui-ci devait avoir pour titre "Drogue, sexe, violence ou sport ?" mais d'une, c'était trop long, et de deux, il serait bon de profiter de cet interlude sans paroles pour laisser respirer un peu nos héros. 

FIN DU PREMIER ACTE.





Retour sur Broadway - Acte 1 : "Pas grand chose" - Premier récitatif

Premier récitatif : où trop de méta ne tue pas le méta

première version :
https://soundcloud.com/witold-bolik/r-citatif-n-1-catastrophe

A dit grosso modo : "Je suis fermement déterminé à m'exprimer", puis s'émerveille de la venue de B, qui à son tour, symétriquement, dans un mélange où il est difficile de distinguer l'ironie du narcissisme, célèbre sa propre présence : "Oui, me voilà moi" sont ses premiers mots. Ces deux-là semblent terriblement préoccupés par leur propre personne, j'avais besoin d'un tiers qui s'en moque, ou du moins mette un peu de distance là-dessus, et aide les gens (dont mine de rien je suppose à un moment ou un autre, la présence) à comprendre le, psycho-, mélo-, tout ce qu'on veuto- drâââme qui se joue là. Un Chœur Antique. Un bonhomme semblant sorti tout droit de l'écoute successive, voire simultanée, du standard absolu qu'est l’alangui "und weinte bitterlich" du récitatif de la passion selon saint Jean de Bach et du Dominique A de "la folie des hommes" (par exemple, enfin ses morceaux les plus ironiquement distants... "L'amour est très surestimé" marche aussi...)



Le tout, le reste de mon staff imaginaire ayant été congédié entretemps, dans un esprit pop art, voire art punk, voire post pas mal de choses, voire, comment dire, branleur, mais branleur de bonne volonté. Ce qui vaut mieux que travailleur malveillant non ? Je ne sais pas. Tout ça me dépasse à vrai dire. En tout cas, ses premiers mots le définissent bien : "Moi non plus" en réponse à une question que personne ne lui a posé. Il est en opposition avec les volontés présentes. Est-ce un troll ? Oui, mais un gentil troll. Il donne le titre à ce premier acte, "Pas grand chose", et j'aime son raccourci : "Un type se pose des tas de questions, quelqu'un arrive et lui répond : Non." J'ai un faible pour le jeu débile qui consiste à rajouter "c'est toute ma vie" après n'importe quelle phrase, mais concédez-moi que pour le coup, ça marche particulièrement bien.

Bon bref, difficile de commenter le commentaire, trop de méta tue le méta etc. Je me contenterais de dire que ce personnage, fauché mais d'esprit dandy, timide mais inopportun, décalé mais discret, nonchalant mais soucieux, râleur mais enthousiaste (c'est le seul à nommer Broadway, censée être l'objet de la quête), tout en paradoxe, est le plus complexe de l'histoire, et je comprends les amis qui trouvent aussi que c'est le plus attachant. C'est aussi le moins "opéra rock". Quand il s'agit d'aligner des tubes, les atermoiements de la conscience, l'élucidation des problématiques, sont mal venus. C'est pour ça qu'on vire souvent des standards de jazz les savoureuses introductions du genre :" comme Juliette disait à Roméo, "pourquoi se voiler la face, mon cher..." avant "Just one of those things", et que Le temps des cathédrales (bon je ne l'ai pas écouté) ne contient sûrement pas de bonhommes en train de se demander "oula, qu'est-ce qu'il se passe ici ? N'est-ce pas une métaphore de notre époque contemporaine ? Que veut dire la scène que nous venons de voir ?". On gueule tout de suite, tout le temps. On affirme, on communique (tout court). Jamais on ne se posera deux secondes. Il n'y a pas d'app "Chœur Antique" pour les iPhones de notre vie. Moi je trouve ça dommage (et j'ai un vieux smartphone chinois pas cher). Mais bon.

Version 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-premier-r-citatif

Texte :

CHŒUR ANTIQUE :
- Moi non plus.
(bien que personne ne m'ait demandé mon avis - mais quoi, je suis le chœur antique d'une histoire où il ne se passe pas grand-chose : un type se pose des tas de questions, quelqu'un arrive et lui répond : non.
Broadway ne semble pas tout près mais on ne sait jamais
Débrouille toi avec ça mon gars (pour ce que je suis payé)
Du coup je m'octroie le droit de faire plusieurs notes à la fois
(ou pas de notes du tout)
et des blagues
et des effets sonores).




Retour sur Broadway - Acte 1, scène 3 : La rencontre

La rencontre - Où le narrateur convoque son staff.

1e version : https://soundcloud.com/witold-bolik/la-rencontre-comment-jai


Voilà B, donc. Comment introduire B, représenté par le métallophone diatonique ? J'ai fait appel à mon staff de scénaristes. On a brain-stormé pendant huit jours non stop. On a revisionné tout Breaking Bad et The Wire, que nous considérions comme des modèles de narration moderne. Des matelas étaient posés dans les coins de la pièce, sept cafetières tournaient à plein régime, Cindy et John ont fait des enfants qui sont devenus vieux et aigris et se plaignaient du mal de dos, puis changèrent du tout au tout en découvrant chacun respectivement leur vocation tardive, l'une dans le houla-up, l'autre dans la sténographie ; la couche d'ozone en a pris un coup mais la conquête spatiale en est restée au point mort. Le temps s'accélérait et se rétrécissait à notre guise, percolait en crachouillant comme une Ford T dotée d'un V8 hybride, le temps n'était plus qu'un jouet dans les mains d'une bande de gosses, puis de vieux, puis de gosses, puis de végétaux volubiles et de romantiques quantiques. On a évoqué plusieurs possibilités : l'une évoquait un sous-marin et Godzilla enrhumé et vulnérable. L'autre invoquait Winston Churchill et se terminait dans un bain de sang, de larmes et de sueur. L'autre proposait une analyse géopolitique globale de la situation du moyen-orient depuis les origines. Cinquante mille autres évoquaient à peu près tout ce qu'il est possible d'évoquer. Plusieurs des scénaristes n'ont pas tenu le coup. Quelques démissions. Plusieurs procès. Un pneu crevé. Une rôtisserie prise d'assaut. Six pages dans Guitares et claviers sur la ligne de basse de ce morceau, ma préférée, vrai.

Puis nous nous sommes souvenus de Boby Lapointe.





Texte :
3 - "La rencontre"

Le même endroit, à peine un peu plus tard.

A aperçoit une connaissance la salue et l'invite.
B (au métallophone diatonique) aperçoit donc la connaissance qui l'invite, la salue et lui répond.
(On note que B "ne peut pas" se joindre à A car c'est toujours le même interprète qui joue les deux personnages. Par ailleurs, jouer note pour note la mélodie de la guitare sur le métallophone diatonique n'est pas possible non plus - cette limite obligeant à des aménagements qu'on nomme fréquemment chez les musicologues comme "rigolos", c-à-d : "présentant un caractère rigolo".)

A - Tiens te voilà toi, comment ça va ?
B - Oui, me voilà moi ! Ma foi, ça va, et toi ?
A - Ma foi, ça va ; que dirais-tu d'un tour avec moi ?
B - Non, je ne peux pas.

Retour sur Broadway - Acte 1, scène 2 : Choisir

Choisir - in memoriam Le Ténia, avec quatre ans de retard

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/choisir-comment-jai-conquis

Désocialisation musicale, tout de suite les grands mots. J'apprends ce matin la mort du grand Jean-Luc le Ténia, à qui un copain a eu la gentillesse de me comparer ; il s'est suicidé en 2011 et c'est maintenant que je l'apprends et que ça me plombe. Alors bon, mollo sur la "désocialisation musicale", un peu de pudeur ; disons que je ressentais pleinement ce que voulait dire le cliché : "s'assumer en solo". Pour le reste, je ne demandais qu'à être en paix. On me remballa une enième fois parce que je faisais mauvaise impression, sans autre forme de procès ; je répondis quelque chose comme : "merci, bonsoir !" (ou "allez vous faire foutre", je ne sais plus) et je me décidai à me remettre au boulot. 

C'est "Choisir". C'est évidemment un jeu, une chanson où je tire profit d'être tout seul pour adapter à l'humeur du moment le propos sans m'inquiéter de soucis de mise en place. Il n'y a pas de version originale, il n'y a qu'une série de mots accolés aux notes qui peuvent être jouées dans le sens qu'on veut. Parler d'une réappropriation enfantine et immédiate des principes de composition aléatoire de John Cage serait outrancièrement prétentieux et là encore impudique ; notez tout de même que je viens de le faire. Si j'étais excellent musicien ça pourrait être le cas, et ça pourrait aller plus loin, découper en syllabes et créer des combinaisons réellement inattendues ; si j'avais un sampler et de la patience, ça pourrait être un truc complètement fou en soi - là, je reconnais que ce n'est... qu'une chanson en somme, avec des marges d'interprétation pas si illimitées que ça. Si je la répète trop, elle finit par se figer dans une structure assez rigide. Le boulot paradoxal avec celle-ci, c'est de ne pas trop la travailler pour qu'elle reste inattendue au moment de la chanter, et malgré tout, rigolote. (Soit dit en passant, la réécoute de la première version m'a fait me rendre compte que je m'étais trompé de deux cases dans toutes les versions postérieures à la première. Ça change peu de choses, mais la ligne de guitare est un peu moins banale et je chante plus aigu. Du coup je reviens à la première.)

Comme souvent, je cache derrière le concept et le jeu des idées d'une sincérité et d'une simplicité désarmées (désarmantes, je ne sais pas) : quand on a mal, il y a malgré tout un choix à faire entre cultiver le ressentiment et passer à autre chose. Le bonhomme, "A", veut choisir de passer à autre chose sans pour autant nier ce qu'il a vécu, ses sentiments. Il tourne ces mots dans sa tête jusqu'à évaluer les positions contraires : cultiver le ressentiment et se concentrer sur sa douleur. Ressasser. Au final ce ne sont que des mots, et la contrainte de temps le pousse à choisir de ne pas choisir, à oublier. Plus ou moins. Le coup du "je n'ai pas le temps" marche évidemment sur plusieurs plans : je pose la contrainte de chansons de moins d'une minute, et le personnage s'affirme dans une situation urgente où l'action prime sur la réflexion (ce qu'on appelle couramment : "rock'n'roll", me semble-t-il).

En bref, avec cette deuxième chanson, et la précédente, on frôle direct deux écueils : la prise de tête et l'auto-complaisance. Vu que ça dure deux fois moins d'une minute, et que c'est dans le cadre d'un jeu d'écriture à contraintes, ça passe - on a eu chaud. Mais ce que j'aime moi, bordel, c'est les comédies musicales, les couleurs, la pop ! Un deuxième personnage, un deuxième instrument, une rencontre s'impose. Respirons. Commençons à nous amuser. Confrontons A. A quoi, à qui le confronter, A ? (dont la première note jouée, dans "Ambition" est un "La bémol", soit dit en passant, "A flat" en anglais) Ben... à B ? Dont la première note serait par exemple un "Si", en anglais "B" ? Ah ouais, tiens. On n'a qu'à faire ça. 

version 2015 : https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-2-choisir

Texte :
A, le même endroit, après mûre réflexion.

2 - "Choisir" - chanson réversible (selon l'humeur on pourra mettre la phrase dans le sens qu'on veut, voire la limiter aux premiers mots tournant en boucle : "choisir de ne pas/ choisir", etc. A chaque module de la phrase correspond une note. Les deux impératifs sont : moins d'une minute et phrase de clôture.)

    choisir /de ne pas/    - cultiver                /--le ressentiment
                                   - regretter              /--les sentiments
                             re-  - cultiver 
                                   - ressasser 
                                   - se concentrer sur/--l''effondrement
              /d'oublier        - l'effondrement     /--des sentiments
                                                              /--ni ressasser
                                                              /--ressasser       
choisir d'oublier, je n'ai plus le temps.

Retour sur Broadway - Acte 1, scène 1 - Ambition

Ambition - où le narrateur décide de gâcher l'effet d'inachevé d'une petite chanson.

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/ambition?in=witold-bolik/sets/comment-jai-conquis-broadway

Tout a commencé par ce premier morceau, Ambition, qui n'était pas la première scène d'un premier acte, ni un "prologue expéditif et désarmant", mais juste une chanson un peu rigolote. A part le groupe Tact, ça stagnait pas mal point de vue musique chez moi : mon groupe Bolik et le très éphémère Projet Patience n'en finissaient pas de mourir, j'avais perdu une majorité de mes instruments, un peu de sous, et je commençais à perdre quelques amis aussi. Rajouter une couche d'auto-dérision là-dessus me paraissait salubre, voire salvateur. Je me suis dit que j'allais me confronter à quelque chose que dans ce que je ressentais comme un formidable échec (ma vie), je me contentais de nier, et qui était ma propre ambition. Je me suis dit que si je le faisais ce serait le morceau le plus court que j'aie jamais fait (comme Anne Bacheley faisait à l'époque son "fanzine à la taille de mes ambitions", plus petit qu'un mouchoir plié). Une miniature. Que je le jouerai sur une note à la guitare, sans accords, parce que je n'ai pas beaucoup de coffre et que si je me mets à jouer fort on n'entend plus la voix. Bref avant d'être un concept minimaliste c'était une prise de conscience de mes limites vocales et musicales quand l'électricité n'est plus là, ni le décor, ni les potes, ni le glamour. Broadway en somme. Et comme je n'avais aucune idée de quoi faire pour m'exprimer, il se terminerait par une phrase inachevée.

Point de vue texte j'étais super content du rejet : "laisser passer/Les trains". Je tenais à le dire. Et bien sûr, la descente chromatique pour la râlerie, et à la fin la montée pour l'épopée, l'héroïsme. En dehors de la blague, les questions que je me posais n'étaient pas si ineptes, dans le fond. Quelle direction donner à des morceaux que je chanterai tout seul en public, pour la première fois de ma vie, moi qui jouait habituellement en groupe ou enregistrait chez moi en multipistes ? Plein de choses que j'écoutais m'agaçaient en français, je les trouvais trop "subtils", trop "écrits", trop "maniérés", ça me semblait (il est vrai que j'étais un peu en colère à ce moment-là) ne correspondre en rien aux vies que nous menions, aux crises que nous vivions, à l'humour que nous avions besoin de cultiver. Trop léchée, trop bien ficelée, coincée entre le charme discret de la bourgeoisie et le racolage du punk festif prolo, parfois grandiloquente et parfois exsangue, mais toujours sinistre, telle était ma perception de la chanson pop en français en général : l'analyse manquait certes de finesse et aurait pu se résumer à : "Sortez-moi de là". 

J'étais beaucoup plus en phase avec des choses que j'écoutais en anglais, mais là aussi je voyais qu'au total, j'avais beau tenter d'exprimer (depuis 10 ans tout de même) la profondeur de mes sentiments et de mes états d'âme dans cette langue étrangère, ça n'aboutissait qu'à me faire reprocher mon accent (par des francophones en général) quand on arrivait à grappiller quelques condescendantes écoutes. (Continuais-je inconsciemment à surréagir à cet article de Magic qui à propos de Bolik parlait de "squelettes de chansons" ? Mon inconscient était-il mesquin à ce point, au point de dire "t'en veux des squelettes ? En voilà !" Rho...) Je me suis dit : "bon, t'es dans la période où tu vas TOUT remettre en cause, fais le aussi pour la langue. Chante dans la tienne, avec le moins de filtre possible. Ne fais pas de poésie symboliste, ne fais pas de trucs jolis ni de clins d’œil post modernes, ne te fais pas plus malin que tu n'es. Joue-la à la Patrik Fitzgerald. Près de l'os." Tout ça n'était évidemment pas aussi conscient que l'analyse tendrait à le faire croire, mais il y avait vraiment de ça : faire avec ce que j'avais, sans filet, sans filtre, sans ambage, sans manières. Exagérer dans ce sens contre tout ce qui exagérait dans l'autre.

Une semaine après, la réécoutant j'avais l'impression d'écouter un personnage qui n'était pas moi. Je suis un type modéré, moi ! Hyper modéré. Le mec le plus modéré du monde. "Fermement déterminé", ça ne pouvait être moi. C'était le pendant dialectique d'une autre théorie qu'il me restait à trouver. Mais je l'aimais bien quand même, la chanson, et aussi pour cet exotisme, justement. Cet exotisme ouvrait la voie à la fiction et au jeu. A l'affût de jeux oulipiens, j'ai demandé à des copains s'ils voulaient continuer ma phrase et participer à une sorte de cadavre exquis chanté. Vu mon manque absolu de patience, mes facultés d'organisateur de jeux collectifs et de gentil animateur, et surtout le flou complet des contraintes d'écriture, je n'obtenais pas de réponses, et, en parallèle, un refus, un rejet par ricochet, une embrouille supplémentaire, me signifiant que ma désocialisation musicale ne faisait que commencer et que je ferais bien d'en prendre mon parti, m'a décidé à gâcher le suspense en faisant moi-même la suite. Qu'allait faire A ? Choisir, sûrement, mais quoi ? 

Dernières versions, de la répétition 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-1-ambition
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-1-ambition-v2

Texte :

Je suis fermement déterminé à cesser de regarder passer
les trains - j'en ai assez d'être la gare et la voie ferrée
du succès
J'en ai assez aussi d'écrire
en prenant soin de ne jamais rien dire
Je me tiens prêt à dénoncer je ne sais quelle plaie
Je suis fermement déterminé à m'exprimer
et pour commencer
je vais...