Retour sur Broadway - Acte 1, scène 1 - Ambition

Ambition - où le narrateur décide de gâcher l'effet d'inachevé d'une petite chanson.

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/ambition?in=witold-bolik/sets/comment-jai-conquis-broadway

Tout a commencé par ce premier morceau, Ambition, qui n'était pas la première scène d'un premier acte, ni un "prologue expéditif et désarmant", mais juste une chanson un peu rigolote. A part le groupe Tact, ça stagnait pas mal point de vue musique chez moi : mon groupe Bolik et le très éphémère Projet Patience n'en finissaient pas de mourir, j'avais perdu une majorité de mes instruments, un peu de sous, et je commençais à perdre quelques amis aussi. Rajouter une couche d'auto-dérision là-dessus me paraissait salubre, voire salvateur. Je me suis dit que j'allais me confronter à quelque chose que dans ce que je ressentais comme un formidable échec (ma vie), je me contentais de nier, et qui était ma propre ambition. Je me suis dit que si je le faisais ce serait le morceau le plus court que j'aie jamais fait (comme Anne Bacheley faisait à l'époque son "fanzine à la taille de mes ambitions", plus petit qu'un mouchoir plié). Une miniature. Que je le jouerai sur une note à la guitare, sans accords, parce que je n'ai pas beaucoup de coffre et que si je me mets à jouer fort on n'entend plus la voix. Bref avant d'être un concept minimaliste c'était une prise de conscience de mes limites vocales et musicales quand l'électricité n'est plus là, ni le décor, ni les potes, ni le glamour. Broadway en somme. Et comme je n'avais aucune idée de quoi faire pour m'exprimer, il se terminerait par une phrase inachevée.

Point de vue texte j'étais super content du rejet : "laisser passer/Les trains". Je tenais à le dire. Et bien sûr, la descente chromatique pour la râlerie, et à la fin la montée pour l'épopée, l'héroïsme. En dehors de la blague, les questions que je me posais n'étaient pas si ineptes, dans le fond. Quelle direction donner à des morceaux que je chanterai tout seul en public, pour la première fois de ma vie, moi qui jouait habituellement en groupe ou enregistrait chez moi en multipistes ? Plein de choses que j'écoutais m'agaçaient en français, je les trouvais trop "subtils", trop "écrits", trop "maniérés", ça me semblait (il est vrai que j'étais un peu en colère à ce moment-là) ne correspondre en rien aux vies que nous menions, aux crises que nous vivions, à l'humour que nous avions besoin de cultiver. Trop léchée, trop bien ficelée, coincée entre le charme discret de la bourgeoisie et le racolage du punk festif prolo, parfois grandiloquente et parfois exsangue, mais toujours sinistre, telle était ma perception de la chanson pop en français en général : l'analyse manquait certes de finesse et aurait pu se résumer à : "Sortez-moi de là". 

J'étais beaucoup plus en phase avec des choses que j'écoutais en anglais, mais là aussi je voyais qu'au total, j'avais beau tenter d'exprimer (depuis 10 ans tout de même) la profondeur de mes sentiments et de mes états d'âme dans cette langue étrangère, ça n'aboutissait qu'à me faire reprocher mon accent (par des francophones en général) quand on arrivait à grappiller quelques condescendantes écoutes. (Continuais-je inconsciemment à surréagir à cet article de Magic qui à propos de Bolik parlait de "squelettes de chansons" ? Mon inconscient était-il mesquin à ce point, au point de dire "t'en veux des squelettes ? En voilà !" Rho...) Je me suis dit : "bon, t'es dans la période où tu vas TOUT remettre en cause, fais le aussi pour la langue. Chante dans la tienne, avec le moins de filtre possible. Ne fais pas de poésie symboliste, ne fais pas de trucs jolis ni de clins d’œil post modernes, ne te fais pas plus malin que tu n'es. Joue-la à la Patrik Fitzgerald. Près de l'os." Tout ça n'était évidemment pas aussi conscient que l'analyse tendrait à le faire croire, mais il y avait vraiment de ça : faire avec ce que j'avais, sans filet, sans filtre, sans ambage, sans manières. Exagérer dans ce sens contre tout ce qui exagérait dans l'autre.

Une semaine après, la réécoutant j'avais l'impression d'écouter un personnage qui n'était pas moi. Je suis un type modéré, moi ! Hyper modéré. Le mec le plus modéré du monde. "Fermement déterminé", ça ne pouvait être moi. C'était le pendant dialectique d'une autre théorie qu'il me restait à trouver. Mais je l'aimais bien quand même, la chanson, et aussi pour cet exotisme, justement. Cet exotisme ouvrait la voie à la fiction et au jeu. A l'affût de jeux oulipiens, j'ai demandé à des copains s'ils voulaient continuer ma phrase et participer à une sorte de cadavre exquis chanté. Vu mon manque absolu de patience, mes facultés d'organisateur de jeux collectifs et de gentil animateur, et surtout le flou complet des contraintes d'écriture, je n'obtenais pas de réponses, et, en parallèle, un refus, un rejet par ricochet, une embrouille supplémentaire, me signifiant que ma désocialisation musicale ne faisait que commencer et que je ferais bien d'en prendre mon parti, m'a décidé à gâcher le suspense en faisant moi-même la suite. Qu'allait faire A ? Choisir, sûrement, mais quoi ? 

Dernières versions, de la répétition 2015 :
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-1-ambition
https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-1-ambition-v2

Texte :

Je suis fermement déterminé à cesser de regarder passer
les trains - j'en ai assez d'être la gare et la voie ferrée
du succès
J'en ai assez aussi d'écrire
en prenant soin de ne jamais rien dire
Je me tiens prêt à dénoncer je ne sais quelle plaie
Je suis fermement déterminé à m'exprimer
et pour commencer
je vais...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire