Retour sur Broadway - Acte 1, scène 2 : Choisir

Choisir - in memoriam Le Ténia, avec quatre ans de retard

première version : https://soundcloud.com/witold-bolik/choisir-comment-jai-conquis

Désocialisation musicale, tout de suite les grands mots. J'apprends ce matin la mort du grand Jean-Luc le Ténia, à qui un copain a eu la gentillesse de me comparer ; il s'est suicidé en 2011 et c'est maintenant que je l'apprends et que ça me plombe. Alors bon, mollo sur la "désocialisation musicale", un peu de pudeur ; disons que je ressentais pleinement ce que voulait dire le cliché : "s'assumer en solo". Pour le reste, je ne demandais qu'à être en paix. On me remballa une enième fois parce que je faisais mauvaise impression, sans autre forme de procès ; je répondis quelque chose comme : "merci, bonsoir !" (ou "allez vous faire foutre", je ne sais plus) et je me décidai à me remettre au boulot. 

C'est "Choisir". C'est évidemment un jeu, une chanson où je tire profit d'être tout seul pour adapter à l'humeur du moment le propos sans m'inquiéter de soucis de mise en place. Il n'y a pas de version originale, il n'y a qu'une série de mots accolés aux notes qui peuvent être jouées dans le sens qu'on veut. Parler d'une réappropriation enfantine et immédiate des principes de composition aléatoire de John Cage serait outrancièrement prétentieux et là encore impudique ; notez tout de même que je viens de le faire. Si j'étais excellent musicien ça pourrait être le cas, et ça pourrait aller plus loin, découper en syllabes et créer des combinaisons réellement inattendues ; si j'avais un sampler et de la patience, ça pourrait être un truc complètement fou en soi - là, je reconnais que ce n'est... qu'une chanson en somme, avec des marges d'interprétation pas si illimitées que ça. Si je la répète trop, elle finit par se figer dans une structure assez rigide. Le boulot paradoxal avec celle-ci, c'est de ne pas trop la travailler pour qu'elle reste inattendue au moment de la chanter, et malgré tout, rigolote. (Soit dit en passant, la réécoute de la première version m'a fait me rendre compte que je m'étais trompé de deux cases dans toutes les versions postérieures à la première. Ça change peu de choses, mais la ligne de guitare est un peu moins banale et je chante plus aigu. Du coup je reviens à la première.)

Comme souvent, je cache derrière le concept et le jeu des idées d'une sincérité et d'une simplicité désarmées (désarmantes, je ne sais pas) : quand on a mal, il y a malgré tout un choix à faire entre cultiver le ressentiment et passer à autre chose. Le bonhomme, "A", veut choisir de passer à autre chose sans pour autant nier ce qu'il a vécu, ses sentiments. Il tourne ces mots dans sa tête jusqu'à évaluer les positions contraires : cultiver le ressentiment et se concentrer sur sa douleur. Ressasser. Au final ce ne sont que des mots, et la contrainte de temps le pousse à choisir de ne pas choisir, à oublier. Plus ou moins. Le coup du "je n'ai pas le temps" marche évidemment sur plusieurs plans : je pose la contrainte de chansons de moins d'une minute, et le personnage s'affirme dans une situation urgente où l'action prime sur la réflexion (ce qu'on appelle couramment : "rock'n'roll", me semble-t-il).

En bref, avec cette deuxième chanson, et la précédente, on frôle direct deux écueils : la prise de tête et l'auto-complaisance. Vu que ça dure deux fois moins d'une minute, et que c'est dans le cadre d'un jeu d'écriture à contraintes, ça passe - on a eu chaud. Mais ce que j'aime moi, bordel, c'est les comédies musicales, les couleurs, la pop ! Un deuxième personnage, un deuxième instrument, une rencontre s'impose. Respirons. Commençons à nous amuser. Confrontons A. A quoi, à qui le confronter, A ? (dont la première note jouée, dans "Ambition" est un "La bémol", soit dit en passant, "A flat" en anglais) Ben... à B ? Dont la première note serait par exemple un "Si", en anglais "B" ? Ah ouais, tiens. On n'a qu'à faire ça. 

version 2015 : https://witoldbolik.bandcamp.com/track/acte-1-pas-grand-chose-sc-ne-2-choisir

Texte :
A, le même endroit, après mûre réflexion.

2 - "Choisir" - chanson réversible (selon l'humeur on pourra mettre la phrase dans le sens qu'on veut, voire la limiter aux premiers mots tournant en boucle : "choisir de ne pas/ choisir", etc. A chaque module de la phrase correspond une note. Les deux impératifs sont : moins d'une minute et phrase de clôture.)

    choisir /de ne pas/    - cultiver                /--le ressentiment
                                   - regretter              /--les sentiments
                             re-  - cultiver 
                                   - ressasser 
                                   - se concentrer sur/--l''effondrement
              /d'oublier        - l'effondrement     /--des sentiments
                                                              /--ni ressasser
                                                              /--ressasser       
choisir d'oublier, je n'ai plus le temps.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire