16 - Histoire de rien qui vaille

Un jour simple, clair, panoramique, avec de la réverbération par exemple, le deuxième type le plus fin-de-série du monde ne se disait rien qui vaille. "Du moins, j'ai fait ce que j'avais à faire. Après, ils n'ont qu'à ne pas changer de propriétaire." Il aurait pu se parler de tas de choses, et comme il se connaissait bien, il employait dans ses monologues des raccourcis qui lui permettaient de se parler de toutes les choses à la fois sans jamais vraiment se parler de rien. C'était totalement contre-productif et d'une "poésie" bon-enfant, "d'ailleurs ça me va très bien comme ça, et pour une fois ne rien avoir à demander, et un petit café et alors tiens, un petit pain au chocolat, ça va, j'ai fait le tour de ça, j'ai fait le tour de soi, le petit trajet la porte etc les échappées la retenue, le propos la doxa les stratégies tout le petit jeu là, ça va j'ai fait le tour de ça, d'ailleurs ça me va très bien comme ça, et on pourrait rembobiner et reprendre de là, pourquoi pas, moi, j'ai fait ce que j'avais à faire, ils n'avaient qu'à ne pas changer de propriétaire."

"Ça va comme ça, un petit pain au chocolat, et puis j'ai faim et puis ça me dirait bien." Un jour complexe, confus, monophonique étriqué avec du noise gate par exemple, c'est ce que ce type fin-de-série se disait là, tout soi chez lui tout seul chez soi devant un café et à se dire "ah tiens pour une fois ne rien avoir à demander si ce n'est un petit pain au chocolat, tiens."

Et la mouvance le prit par la porte qu'il n'attendait pas. "Liquidation totale", semblait susurrer la bascule dans ses limbes de chanfreins mal biseautés. "Prends-moi, sors d'ici", l'éternel paradoxe érotique en sa bouche de porte habillée en dernière fois, déguisée en cette fois on ne me la fera pas, on ne vous la fera pas, je ne me le se fera pas, j'ai ne me l'ai se déjà fera ce que j'étais à faire, ils n'avaient que se ne me le pas changer de propriété. Et la mouvance le prit comme par la porte qu'il ne s'y attendait guère. Nul guéridon, mais la porte même et "va-t-en mais via moi, et reste là à t'en aller comme ça, I'll be your moyen de transport, c'est à moi de t'y mener et le nulle part c'est par là, ce nulle-part là c'est par moi qu'il passe et je te saurais gré de m'emprunter, quel gré je te saurais de m'emporter." Et c'est par la porte que la mouvance le prit, non par le guéridon, non par la fenêtre, non par les jeux de langage qu'on ne se me le fera pas, au-delà des chanfreins qui s'émoussent et s'érodent et s'étiolent et s'étalent par terre parce qu'ils se sont égarés, "perds toi en moi comme en un trajet de A + B", un bout de cycle un bout du compte des seuls aux mondes, des deuxièmes des premiers des incomptés des indomptés des laissés-pour-comptabilités, des notables et des bas de page, des tables de calculs, des tables verticales qu'on pourrait passer, pour s'en sortir par exemple (et un pain au chocolat acheter), ou pour y rester, dans la mouvance emporté, dans l’œil du cyclomoteur, dans la révolue série rotatoire et recyclée. Allez. "Allez !"

Il alla, notre deuxième type le plus fin-de-série du monde. "Mirage bénévole et portes fermées de tout acabit, bien ou mal biseautées, de bois ou de verres ou de pierre ou de feu, mes éternelles destinataires et mon unique trajet." Sonnette, bonjour et "je voudrais".
- Ah je suis confus p'tit gars, des pains au chocolat j'ai plus de ça, y'a plus de ça. J'en n'ai plus, de ça. Des pains au chocolat. A la place, je ne sais pas. Tu prends un croissant et tu fourres du Benco dedans. Ou non, si tu veux. Tu t'en vas de là et tu te dis "c'est un mauvais boulanger, pas fichu d'avoir du pain au chocolat à 9h du matin. C'est tout du congelé, de toutes façons j'ai fait ce que j'avais à faire et ils n'avaient qu'à ne pas changer de propriétaire." Tu rebrousses chemin. J'ai pas été sympa et j'ai utilisé d'emblée un langage caricaturalement familier, comme on dit chez toi, p'tit gars. T'arrives en fin de série des pains au chocolat. Je ne sais pas moi, tu n'as qu'à faire autre chose. C'est pas contre toi hein, mais quand y'en n'a plus y'en n'a plus encore. Toujours pas plus encore. Enfin bon ça ne se reproduit pas comme des petits pains, ah ah. C'est tout du congelé, tout des trucs déjà faits. T'as fait ce que t'avais à faire, j'avais qu'à ne pas me changer de propriétaire. Et je ne suis pas une bonne commerçante pour la bonne raison déjà que je suis pas tellement du sexe opposé. Rien contre ça hein, mais c'est juste que ce n'est pas moi. Rien ne dure. L'impermanence, tout ça. Tu as entendu parler de ça. Tu as regardé quelques secondes et tu t'es dit "ah oui, c'est vrai, l'impermanence, c'est ça", donc voilà. C'est léger mais c'est comme ça. Du pain au chocolat, là tout de suite tu vois, moi je n'en n'ai pas. Prends un croissant si tu veux. C'est moins cher, et, je ne sais pas moi. Les argumentaires et les exposés, moi tu sais, ptit gars. Plus fin-de-série que moi, tu peux pas. Quand y'en a je dis : "y'en a", mais quand y'en n'a pas, comme là, ben je dis "ah ! y'en n'a pas." C'est comme ça.
- Heu. Oui. D'accord, ça se conçoit. Merci de pardon de vous avoir pas vraiment dérangé au revoir."

Et quand le type rentra chez lui, il se dit qu'avant de s'y ennuyer ce serait pas mal de déménager de cette partie-là de sa tête, et que ça ne paraissait pas si compliqué que ça vu que pas de loyer etc. Après on peut discuter les tenants les aboutissants tout ça. Hm. Voilà.

1 commentaire:

  1. Merci au Monde et à Dominique A pour la phrase (citée de mémoire, l'article est à présent payant): "je pose des options simples, un son clair, panoramique, avec de la réverbération, par exemple. Après, il faut travailler." - qui clôturait l'article et qui m'a fourni l'incipit de cette dernière Routine - ainsi que la matière du tout premier commentaire sur ce blog, qui, je l'espère, contribuera à dégeler l'ambiance vous incitant, chers lecteurs à poster les vôtres :-) - Par ailleurs, on note qu'à présent les sous-rubriques comme "ça c'est fait" sont visibles. Elles existaient dès le départ mais j'avais oublié comme un nigaud d'en activer l'affichage !

    RépondreSupprimer