6 - Unhappening


Ce qu'il arriva c'est que Marcelle exposait. Ça se passait à un chiffre de rue du bourg, ce n'était jamais loin de rien parce que ça avait lieu un peu tout le temps. Marcelle exposait et nous étions aux courants. C'était un couloir et c'était un chiffre de rue, un 4, 5, ou 6 août ça exposait de la Banigna. Où ça et de quoi il s'agit, de rien ou quelque chose comme soi, on expose, comme ça, on réunit des gens et on dit c'est là, je viens de vous le dire et c'est ce que je voulais vous montrer. S'il s'agissait de choses je ne vois pas l'intérêt. Je suis Marcelle Benigna et j'expose. Vous vous avez des trucs, moi j'expose. Vous vous essayez, moi c'est Marcelle bonjour. Ça se passe là ne m'y laissez pas seule et soyez contents de ça. Peu importe quoi. Qui s'intéresse à quoi, vous êtes mes amis ou quoi ? Ce monde-là est un vivier de génies, on est sorti de l'art, on n'est pas là pour épater la galerie, il n'y a pas de galerie et on n'est pas là.
- Pardon Marcelle, d'accord Marcelle, je ne sais pas Marcellita, mais quoi, c'est quand déjà mais un peu tu ne veux pas nous le dire c'est quoi ?"
Elle gémit et je crois qu'elle s'allonge sur le carrelage comme une chanson québecoise qui en aurait pris un coup ; "aaaaaah" souffre-t-elle et de s'interloquer nous autres et moi, on n'était pas là pour ça on faisait les courses et de l'anonymat.
"Mais Marcelle, tu t'exposes là !
- Il ne s'agit pas de moi ! J'expose, c'est tout, voilà ! Respectez ça au moins ! Songez à tout ce que vous ne respectez pas."

Régulon rubescent baisse la tête et pleurniche. Il vient de penser à tout ce qu'il ne respectait pas : c'est vrai qu'il ne fait pas le tri. C'est vrai qu'il ne prend pas le bus. C'est vrai que son amour d'enfance Rosaline, et c'est vrai que ses poèmes ne riment pas. Sa vie est comme un long brunch du dimanche, il passe son temps couché sur le lit, il réfléchit à tout ce qu'il ne respecte pas et pleure, il pense même au sexe des fois, oh tri des déchets, oh transports en commun, oh conscience citoyenne, oh cholestérol, oh Rosaline sors-moi de tout ça, c'est vrai que je ne respecte pas assez je suis enfant maudit et cependant voici que je pleure comme ça de mauvaise conscience parce que je fais la somme de tout ce dont je me fous éperdument, je ne fais pas même le tri de ça, et quand une amie expose j'ose lui demander quoi. Ça ne se demande pas ça, ça va de soi c'est comme le tri des déchets, la poubelle pour ça elle est jaune exprès, et les gens ne se demandent pas une semaine ni quoi ni où ni si elle n'est pas déjà trop pleine ni si les gros emballages en plastique on a le droit ou si c'est juste les boîtes comme ça, ah les boîtes comme ça on n'a pas le droit, oh la la tout ce que je ne respecte pas et la ville qui part à vau-l'eau et nous autres qui sortons de l'art à cause de moi, le Régulard débonnaire venu chercher des noises et toujours à demander quoi quand Marcella elle  - et tu crois que ma vie elle est drôle à moi - expose, fait de tout ça ou de rien de tout ça un truc qui s'expose et qui est là.

"Vous ne pouvez pas rester là mademoiselle - ici c'est rayon nutella, quand les gens en veulent il y en a, ils n'ont qu'à se baisser pour ça, alors vous comprenez votre aimable cadavre au milieu du rayon les gens avec leurs caddies ils ne peuvent pas passer, c'est incommodant et vous ne pouvez pas rester là, mademoiselle - je me répète c'est parce que je suis policier, policier de supermarché, je ne prends pas parti je ne suis pas un artiste c'est juste que je travaille là, et vous vous faites quoi ?
Tout le monde qui sont là s'écrie "Non, non, type qui travaille ici ! Pas de ça, ne lui demande jamais quoi ! Tu ne vois pas déjà ?
- Quoi, bande de sympathiques jeunes gens un peu éméchés, un peu anti-supermarchés ? (je ne suis pas policier en vrai, je suis un peu artiste vous savez) (votre amie couchée m'inquiète et constitue un trouble à mon ordre privé, mais que fait de sa vie la demoiselle un peu jolie qu'on n'entend pas ?) - lorgnant Joséphina - (oh elle je vois elle fait du mystère, elle suggère, dites-donc les gars secouez-vous, je dis ça je ne peux m'empêcher de constater bien que ce ne soit pas mon métier de policier de supermarché, mais si je résume : Marcella expose, Joséphinouille suggère, et vous vous faites quoi, les compléments d'objets directs ? C'est quoi jeunes sympathiques garçons un peu anti-supermarchés que vous allez faire de tout ça, qui des "quoi ? Hein ? Pardon ?" en regardant les trains de verbe passer comme des compléments ruminants ? Prenez exemple sur Marcelle : elle, elle expose. Elle conjure. Elle dénonce. Moi rien, je travaille ici, mais au moins je ne demande pas quoi. Il n'y a que des nigauds comme on croirait bien que je suis moi, des policiers d'opérette et de supérettes pour demander de quoi, et quoi alors non mais)(Vous avez de bien jolies suggestions mademoiselle, ne traînez pas avec ces imbéciles)
Marcelle souffre et sa souffrance est vraie et c'est à tout le monde que ça fait mal et ça ne se demande pas de quoi au rayon nutella elle est couchée l'air de dire faites comme si je n'étais pas là. Elle dénonce l'hypocrisie et tout ce que Régulon ne respecte pas. Elle expose. Même le flic l'a compris. Même le policier empathise à la fin. Lui il est mature il sait jouer le jeu. Il fait du coin Josefina de l’œil et se met à évoquer.

Régulous pleurniche, Marcella je crois bien qu'elle expose, Joséphinouille je la soupçonne de suggérer, le policeman super-marchiste évoque, et moi je suis au rayon fromage râpé, il se passe tout autre chose, j'ai vu une mouche ou je crois l'avoir vue ; je me suis demandé si ça valait la peine de le signaler, en même temps le fromage même emballé, je la comprends la mouche. Surtout que ce n'est pas sûr. Oh non ça ne vaut pas la peine et même pas celle d'y penser. J'ai cru voir une mouche voler et j'ai oublié, alors qu'irai-je signaler à aucun policier de supermarché. Où en est Marcelle ? Elle souffre par terre, elle dénonce l'hypocrisie et le tri des déchets. Le policier parle et s'adoucit. C'est une victoire et il le faut pas demander de quoi. C'est déjà assez rare comme ça, qu'il y en ait des victoires, alors s'occuper de quoi, pensez-vous. Autant parler à des mouches qu'on n'a pas tant cru voir que ça, voleter rayon fromage râpé. Pendant ce temps là le monde change et les mentalités et le tri des déchets et le cholestérol. Mais moi, je n'y suis pas, les copains m'ont raconté. Emmental ou gruyère, mouches ou pas, si jamais j'expose ce sera ça je crois. Plein de choses se passent et je sais mais je suis au rayon fromage râpé. Et je ne sais même pas quoi en penser. Les copains m'ont raconté.



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