Nasal song

Je suis conscient qu'il y a des problèmes plus graves dans la vie
et que mon complexe oto-rhino-laryngologique n'en est pas le centre
je ne pense pas que mon nez en lui-même puisse concerner les gens
mais il en est ainsi de l'exercice de l'Art, savez-vous,
que rien n'est plus universel que ce qui l'est sans le vouloir
et qu'un poème touche de zéro à une personne puis agit par extension
extension d'inquiétude plutôt que de garantie
extension contamination pollution ricochets quiproquos
bref

j'ai passé trois jours et trois nuits à me moucher et éternuer
ce fut le rhume des foins le plus virulent de ma vie
ma chambre était parsemée de mouchoirs comme aux plus beaux jours de mes quinze ans
j'ai fait une chanson il y a longtemps sur le rhume des foins y repensant je me disais
oh la la le type qui a écrit ça n'a jamais connu le rhume pour de vrai
les soubresauts violents de chaque éternuement
qui te balance toute la colonne et te coupe la voix
l'humiliation humide de ton corps ligué contre toi l'incontinence du nez
le rhume est dégueulasse et l'amour n'est pas sympa
pas plus que la mort n'est goth
la vie n'est pop
la vie est trash et d'un trash moche
et la mort terne comme du vieux blues rock blanc francophone mou du genou
et il n'y a rien à en dire
comme pour l'éternuement on subit ce qui une fois malgré soi va sortir de sa bouche


autant de mal que de bien mais surtout rien


que de la morve
(je me souviens dans les Simpsons de l'amoureux limace de Lisa lui promettant dans son cauchemar de lui construire
"un palais de morve")
et on passe le reste du temps à renifler à s'essuyer à craindre et à attendre
jusqu'à ce qu'une autre saillie, la dernière
nous fasse enfin taire sans que rien n'ait avancé
malgré tous les mouchoirs dégueu qu'on a semés
comme un petit poucet circulaire et sisyphe
dans vingt mètres carré
cuisine ouverte
et fenêtres bien fermées pour empêcher tout brin de pollen et d'aventure et de vie extérieure
de venir une fois de plus nous défoncer et nous mettre 
le nez dans l'impuissance
notre pas propre et pas pop nez universel dans l'impuissance totale et résignée
chanter tout ceci sur un air léger
du ton le plus nasillard qu'on n'ait jamais n'osé.