Le vase

(des jours que je ne pense rien
des jours que je ne pense rien de rien
des jours que je ne lis rien et joue un peu mais ne compose rien et n'enregistre rien
des jours que j'achète des livres
des jours que j'achète des trucs
des jours que j'achète des trucs dont je n'ai pas besoin et dont par conséquent je ne fais rien
des jours que j'achète les regrets d'avoir acheté les trucs que je n'avais pas vraiment les sous pour acheter
des jours que je me dis que les sous n'existent pas
le crédit oui mais les sous n'existent pas
on achète avec la confiance qu'on a le crédit qu'on se donne
on achète avec la foi
les sous on verra
c'est la devise des banques
la devise monétaire
les sous sont l'on-verra insouciant du type un peu plus jeune à la type un peu plus jeune
ils sont d'un type un peu plus jeune
plus jeune que quoi on ne sait pas
la jeunesse c'est comme les sous
c'est ce qu'il n'y a pas et ça ne tient qu'à soi, qu'à la foi qu'on porte à ça
la jeunesse est Brigitte Fontaine
Jouvence Brigitte
c'est d'un formidable optimisme au fond
ou au moins parfaitement irréaliste
et ça me déprime ou bien c'est juste que j'étais
en permanence
agacé déprimé par tout
des jours que je ne pense rien
des jours que je suis fauché
fauché de sous de jeunesse de foi et de tout ce qui n'existe pas
et que je ne vais peut-être
pas si bien
et l'envie d'écrire une histoire
l'envie de déraisonner une histoire pour faire rire
quelqu'un pour s'arracher un sourire s'arracher un sourire
pas si bien mais - j'arrête de fumer et je gagne en poids tout ce que je perds en foi
et je me dis que ce
perpétuel agacement (expression pesée pesée pesée)
cet agacement perpétuel
ces ravalements discrets de rage et frustration
comme lorsqu'on déglutit
ces ravalements ces ravalages de rages discrets concis circonspects circoncis
je me dis que je les dois peut-être à ça
ne pensant rien c'est dingue tout ce que je me dis
l'avantage d'une histoire idiote qui viendrait à moi
c'est que je délèguerais à des personnages
tout ce qu'il se pense et tout ce qu'il se dit
dans le moi
et alors j'écris un prénom)

Arthur

(vraiment ? Arthur ?)

dégoupilla

son bouquet de fleurs

et n'eut qu'à peine le temps

et n'eut qu'à peine le temps.

"Ne te moque pas de moi - j'ai rooté l'xpéria" - fit-il comme un bout de chanson, tandis qu'elle

n'était pas là, manquant de l'existence qui aurait pu faire de lui

le vengeur mais transi

revanchard pathétiquement mais hors de contrôle et donc humain

le tragi-comiquement mélo mais beau

d'ailleurs bel

amoureux

qu'impliquait son bouquet de fleurs - amoureux transi même

et transparent

bref - elle,

elle n'avait pas le degré d'existence pourtant bas qui aurait suffi à

lui - l'ignorer.

Arthur se dit : "je viens de dégoupiller un bouquet de fleurs pour exprimer un sentiment dont on peut imaginer qu'il s'agit, à quelqu'un qui n'existe même pas assez pour m'en congédier"

"ce qui me rassure c'est que les bouquets n'ont sûrement pas de goupille bien qu'ils aient comme toute chose leur fatal et flippant compte à rebours leur mortalité"

"et quant à la mortalité des miennes de fleurs, je ne sais pas, je pensais ça pour rire j'aimais l'image mais des fleurs bah des fleurs je n'en ai pas alors leur mortalité bah il auraient fallu qu'elles naissent et qu'elles soient là au bout de mes doigts qui les dégoupillent, ils auraient fallu qu'elle soient là"

"et toutes ces fictions"

"on sait bien que ça n'existe pas"

"et c'est ça qui, c'est ça qui"

- Merci, monsieur." dit-elle en soufflant sur la poudre - odeur âcre - vague pollen scorie d'agression florale. "Tu n'as pas l'air bien habitué et quelques pétales ont volé mais

je le mettrai dans un vase

je le mettrai dans un vase et je le regarderai

je regarderai l'eau verdir sans la changer trop souvent

chaque fois que je le regarderai je ne penserai à personne.

Maintenant cela est fait, le narrateur l'a raconté ; va-t'en et sois malheureux."

Arthur s'en va. Avec la démarche inquiète du type qui craint de s'arrêter pour regarder la semelle de ses chaussures et d'ainsi confirmer qu'il vient de marcher malgré lui sur un monticule sombre et visqueux d'émotions. Avec la démarche confiante de qui sait qu'il n'a pas fini, qu'il n'en a pas fini avec quoi déjà. Avec sa démarche et ses pieds, Arthur s'en va.




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