(2/...) La casserole

(S'en aller, ça va, ça se fait, ça doit être l'une des choses les plus faciles à faire, s'en aller comme ça, juste partir, sans métaphores, s'éloigner de là où on était. Avoir été là, avoir fait le truc, tenté l'interaction dans ce qu'on arrivait à faire vivre du monde malgré toutes les anesthésies et le solipsisme, le solipsisme des séries, même bonnes, surtout excellentes et magnifiques et admirablement bien écrites, elles vaporisent le réel, on se retrouve sur une rue à devoir tout inventer pour que ça existe, et c'est lent, et c'est laborieux quand tout va suffisamment vite à la télé ; sauf là, là, c'est n'importe quoi, ça ne raconte rien, c'est juste atroce ; mais pour Arthur qui a la chance d'évoluer dans un monde - pas celui-ci - avoir été là c'est déjà plus balaize, qu'en partir. Partir c'est à la portée d'Arthur. Et quant à être malheureux, malheureux pour rire alors, parce que c'est dur de jouer la comédie romantique quand - c'est dur de dire les mêmes choses que tous, les amis, et oh, je n'ai plus peur d'utiliser ce mot, je me sais faire partie de la réalité de ceux qui me voient, qui me parlent, qui ne me parlent pas, je sais que je fais partie de la communauté là, même pris pour un imbécile, et sans doute pris pour la moitié de l'imbécile que je suis vraiment, tant que je parviens à sortir un peu de vannes et de souffles et de traits de mon imbécillité gracieuse, de ma seul arme, aussi efficace contre les balles qu'un tutu pailleté taille 50 ans, aussi efficace mais aussi excentriquement élégant, voilà, l'excentrique élégance, l'impertinente légèreté, les phrases courtes et souriantes, souriantes, souriantes.
C'est dur et laborieux de mettre un nez de clown de 4 tonnes sur une face rétamée de gueule de bois puis de chaînes d'infos, une gueule d'infos en chaîne de bois, mais il en faut peu, il en faut peu pour en faire peu et c'est très vite "déjà ça", et une fois qu'il y a le fil - Arthur dégoupillait le bouquet, la fille disait je ne penserai à personne en regardant le vase, désolé de résumer l'étique synopsis, la fille s'appelle Éléonore parce que c'est comme ça, le narrateur n'a aucune sorte de problèmes existentiels et méta-post-modernes ou je ne sais quoi : c'est un bourrin de l'histoire, il encaisse, il enquille, il y va, il nous prend par la main, oh lui aussi c'est un chic type. Qu'est-ce que j'aimerais me connaître assez pour faire l'amour avec moi - il paraît que je suis narcissique mais ce n'est pas le genre de défauts qui me rebutent, alors, ça va. Ça va ? Je vous aime très fort, donnez des nouvelles.)

Arthur se regarde Éléonore dans la tête, laquelle regarde le vase et comme promis ne pense à personne,
Penser à personne c'est une promesse beaucoup plus gentille, beaucoup moins sexy,
que de ne pas penser à lui, et Arthur dit :
"tout ça n'a pas la moindre foutue importance et je vais plutôt
me remettre au boulot"

Le boulot ce sont
six cent soixante douze

bulles d'air

à la surface de l'eau.

Le boulot c'est l'ébullition

exactement le boulot c'est la répétition de l'ébullition.

ça consomme, forcément, mais l'idée ce serait de balancer l'eau bien chaude dans la casserole, de la faire bouillir une fois, de la laisser refroidir mais pas trop, et de la refaire bouillir, etc ; l'évaporation nécessite de remettre de l'eau dans la casserole ; c'est ce qu'Arthur fait ; Arthur fait bien son boulot : Arthur est un bon bouilleur-refroidisseur-contre-évaporateur-re-bouilleur. 

Il est prévu qu'un jour quelqu'un mette des pâtes ou quoi que ce soit à cuire dedans ; mais faire bouillir, laisser refroidir, refaire bouillir, remonter le niveau d'eau, là s'arrêtent les compétences d'Arthur. C'est prenant ça consomme ça ne paie pas tant mais ça laisse le temps, et ça laisse le temps de pardonner et d'en vouloir et d'en vouloir et pardonner à celle dont il n'est même pas certain qu'elle n'aie pas déjà oublié qu'elle était censée ne penser à personne, sous-entendu pas Arthur.

Oui c'est vrai ça, peut-être qu'elle y pense au fond ! Oh ! Le cœur bat.

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