Parking


A l'époque j'étais malheureux, donc sympathique. Je montais ma boîte de chagrins en épingles et je ne payais pas les taxes, c'était la première année. Dans ma famille on disait toujours : "Si tu avais trois jambes, ce serait encore plus difficile d'enfiler ton caleçon dans le bon sens". Fort de cette sagesse populaire, je me blotissais aux creux de la bienveillance des épouses et je menais tant bien que mal ma barque.

On m'aidait. On me disait bonjour pour m'aider. On me cachait les comptes pour m'aider. On me bannissait du parc et de la cité pour m'aider. C'est sur la mer de toutes les morves de ceux qui m'aidaient que ma barque ramait. Un jour d'amour j'ai mis le point sur la table des i. J'ai dit : "Je vais faire un coup. Maintenant je suis seul et maintenant, je suis seul."

La morve s'est asséchée en une sorte de magma. Ma barque était un mouchoir en papier sur des pieds d'argile. Ma boîte de chagrins en épingles se faisait ma peau. On me laissait. On me disait bonjour pour me laisser. On me cachait les comptes pour me laisser faire. On me bannissait du lopin vert municipal et de la république pour me laisser m'enliser. C'est sur la mer de toutes les morves de ceux qui me laissaient que je ramais avec ma barque.

Un jour j'ai pris mes points dans les i, fait table rase d'orientation, j'ai dit : "assez qu'on m'aide, assez qu'on me laisse. Ce coup-ci je voudrais de l'égal à égal, rester dans la légalité et si plonger plonger, de loin surnager."

On me symétrisait. On disait bonjour à mon bonjour, ou en l'attendant, selon. On me cachait ce qu'on ignorait, on ne m'aidait ni me laissait compter. On traînait avec moi déçu devant les grilles fermées du square et de la communauté. C'était sur la mer inversée de toutes les barques qui ramaient qu'à son tour ma barque ramait tantôt sous l'eau tantôt sur l'eau. De la mer de tout côté et ailleurs des cieux partagés par des avions répétés, renversés. A mes chagrins en épingles correspondaient les aiguilleurs d'épingles en chagrin. Les tournants tournaient sur eux-mêmes, les surfaces planes et l'immobilité donnaient du revers de manches à tordre et à raison.

J'ai pris mon i, je l'ai mis au bout du point, et le nez dans la table j'ai dit : "Assez. Assez de symétrie, ni d'aide ou d'abandon. Assez de gens et assez de soi. Assez de tout ça. Je mets la clé, je mets la clé sous la porte."

On me satisfit modérément. On me donna du bonjour équitable quand satiété se faisait. On me donna le juste prix, on me le prit et me le rendit. On consulta les horaires du jardin et les modalités de la démocratie. C'était sur juste assez d'eau que mes rames mollassones et ma barque incertaine avançaient à pas tapis de loups. Dans la mer de satiété, morve, magma, barques de l'autre côté roulaient le consommateur. D'assez j'eus assez vite trop.

Je tape du poing dans le ventre du i, je le frappe à terre, je le décapite, puis le renverse et lui arrache le pied d'exclamation, je le tord en s, je le casse en z, je lui fais voir toutes les couleurs de l'alphabet, puis, épuisé, je me tais.

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