De la bêtise, de l'amusement



J'ai eu deux idées en deux jours. Je trouvais normal d'en avertir le monde entier. Il y a bien de quoi en faire un essai d'essai, dans le sens hardrocker du terme.

Je suis tellement enthousiaste à l'idée de faire mon premier essai d'essai que je saute l'introduction. Trop peur de perdre la moitié de mes deux idées en faisant des politesses et des machins.

Vous voyez ce que je veux dire.

C'était sur la bêtise : l'avant-dernière fois que j'ai eu un ami qui choisissait de se comporter en bourrin bas du front, de se faire plus insensible qu'il n'était pour se protéger, j'ai essayé de le convaincre par la discussion de ne rien en faire. Il m'a répondu en bourrin bas du front, c'est le type bête en lui qui m'a répondu, et ça s'est mal passé comme souvent quand j'"essaie" de discuter au lieu de me contenter de dire et de parler. J'ai pris un gnon et perdu un ami. Comme il était devenu bête, c'était moindre mal. Comme il s'agissait d'un gnon symbolique (et que je voulais surtout placer le mot), ça allait.

La dernière fois, par contre, je n'ai pas levé le petit doigt. Après tout, suis-je moins crétin que celui qui choisit d'être crétin, de s'incarner en crétin ? Est-ce que j'ai l'air bien malin moi, à tâcher de m'incarner en plus intelligent que je ne le suis, est-ce que je ne m'apprête pas à décevoir à la fois les crétins (du bord desquels je ne suis pas) et les gens intelligents (au bord desquels je n'arrive pas tellement) ?

A ramer pour ramer, le rivage destinataire est-il si important ? La mer semble la même de tous côtés, et nous n'avons pas de boussole waterproof. Plage à transats de la science ou écueil chaotique et sexy de l'ignorance ne nous attendent ni l'un ni l'autre, cesser de remuer dans l'eau c'est mourir. (Là c'était pour placer une phrase définitive qui en impose, mais du coup je ne sais plus où je voulais en venir).

Comment se décevoir soi-même le moins douloureusement possible ? En cultivant l'image et le comportement d'un abruti (devenu brute, donc), les moments d'intelligence et de sensibilité ne prendront-ils pas plus d'ampleur, comme de bienheureux accidents ? 

Si, si. En fait, se placer dans l'échiquier (submergé) de la vie en tant que crétin se défend totalement. C'est une limite personnelle (et qui n'est pas nécessairement un signe d'intelligence, ce serait trop simple) que de ne pas savoir entrer en crétinisme. Ne pas savoir être stupide est forcément mal pris (pas uniquement par les aspirants ou les confirmés de la stupidité). Pour qui se prend-il ? Dira-t-on d'un incapable de la bourrinerie. Pour un échec de la bêtise qui n'est pas pour autant une victoire de l'intelligence. Pour un point de vue.

A ramer pour ramer, ne pourrait-il pas se prendre pour rien, s'il ne peut se prendre pour un abruti ? 

Je ne peux pas me prendre pour rien. Je ne peux pas me prendre pour un crétin. J'ai moins de formation et de moyens intellectuels, j'ai moins d'éducation que des tas de gens qui se comportent vis-à-vis de moi, de manière indubitable, mais alors très très clairement, comme de vrais cons. Je ne peux pas me prendre pour plus intelligent qu'eux. Ils auraient tort de me prendre uniquement pour un con.

En même temps, pourquoi des crétins s'embarrasseraient-ils d'autres outils d'analyse que le kit "jugement-de-valeurs-simplistes" fourni à l'entrée de l'école de crétinerie (penser à ne pas manquer le cours magistral de foutaises) pour un tel inadapté de la crétinerie, incapable d'autre chose que de flirter avec l'intelligence sans le moindre espoir de se la faire un jour (de s'en faire une, d'intelligence, j'entends) ? Ce sont des crétins ! Mais au moins ils ont une existence, ils ont fait un choix, ils avancent dans la vie, certains ont une vraie vocation et sont vraiment bons dans le bas du front, ils font ce qu'ils aiment au moins ! Et toi ?

Moi je ne sais pas, cet essai commence à m'ennuyer, et c'est précisément l'autre point que je voulais traiter.

Un enfant s'apprête à fêter un noël et ne peut s'empêcher de goûter en avance le gâteau au pétrole qu'ont préparé ses parents. Il le dévore entièrement, tombe malade. En épilogue, un renversement ironique d'un lieu commun de l'époque : "Moi quand j'étais petit, j'avais droit à deux oranges pour noël" (sous-entendu : "Chanceux ! j'aurais préféré ça qu'un gâteau au pétrole".)

C'est (pas très bien raconté) ce que je me rappelle d'une rédaction que j'avais faite au collège. "Tu t'amuses bien en rédaction" était le commentaire de l'enseignante. La note était tout à fait correcte.

"Tu t'amuses bien en rédaction", quel genre de commentaire est-ce là ? C'est très ambigu, et je ne savais pas si je devais m'en réjouir.

Maintenant, je me suis rendu compte que c'est le plus flatteur des commentaires que je puisse recevoir. Partager l'amusement que j'ai à faire des choses, je n'irai jamais plus haut. (Plus ça va, plus j'ai l'impression que cet essai d'essai a pour thème : "mes limites").

De grandes douleurs tragiques sont passées par là, qu'en ai-je fait ? De quoi m'en divertir. Tenterais-je une performance, j'aurais droit à "Tu t'amuses bien en scarification !". Et, quoi ? Non, rien.

Tant que je m'amuse bien en essai d'essai, je continue, et quand je m'ennuie, ça n'existe plus. Au moment où je m'ennuie, je me demande si ça a vraiment existé. Et comme ça m'ennuie (l'idée que ça pourrait ne pas exister), je le publie dans ce blog que peu de gens lisent. Si j'en crois les [edit : avant-] dernières réactions des éditeurs à mes humbles démarches, quelque chose en moi réveille le crétin dans l'intellectuel. Je suis peut-être un révélateur de crétinerie au fond. Le Socrate des bas du front. J'accouche les cons, je les révèle à eux-mêmes. J'ai un don. Ma vie a un sens.

Droit vers la ciguë.


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