5 - Anti-brouillard et fil d'écume

Où en étions-nous déjà ? Le linge danse ; spirales et circonlocutions. Il y aussi un fil qui se défait à chaque tour et à chaque fois. Il est orange, a peut-être été rouge et a démissionné de son pli pour voyager à travers les autres tissus. Il se déroule sans fin et semble appartenir à tous. Il est témoin de l'effilochage général et fil mutin qui dévêt tout. Il est le lien et la rupture, l'histoire sans fin ni commencement. Tout ne tient qu'à ce long fil enquiquinant, et rien ne tient que ce fil. Parque, y-es-tu ? Destinée itou ? Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ? Toujours super rien.

Oh, tangentes.


Un bout d'ongle vient crisser sur le drap, les cheveux s'emmêlent, les voitures blindées paradent linéaires, les fils lâches tendent de rien à rien. Et je n'ai toujours pas lu Michel Foucault, ça me semble toujours au-dessus de mes moyens et c'est un peu désolant parce que si nous étions en deux mille douze j'aurais déjà plus de trente ans, l'âge limite du poème-graffiti de Leonard Cohen : MARITA / PLEASE FIND ME / I AM ALMOST 30. Une philosophe de profession et à lunettes disait dans une émission télévisée, en sorte de bonus track d'après-développement : "ce pourquoi je serai toujours reconnaissante envers Michel Foucault, c'est de m'avoir fourni une méthode, un angle de vue, des lunettes" - précisément - "pour développer ma propre pensée."




Mettons que j'aie une pensée, mettons que j'aie un propos. J'en dirais autant de Comelade et de son éthique de la reprise. Doit-ce être une influence automatique, à base de toy piano, de toy piano, de pianos-jouets et autres jouets pianos, tintinnabulants et métalliques, sonnants trébuchants, ouh que c'est mignon, oh tiens un air d'enfance, non, j'en ai marre. Doit-ce être une référence de collectionneurs de jouets détournés (et de piano-jouets, ouh que c'est enfantin et mignon, ah l'innocence, ah le petit air fantaisie, tong tong cling, ouh que c'est mignard et mièvre et maniéré), d'accumulateurs patentés, du syndrome de Diogène en pop expérimentale, non, j'espère non. Seront-ce des lunettes à soi, de l'intelligence et de la musique sympathique avant d'être empathique, dépouillée, adulte et folle, courageusement ludique, d'une ironie mordante et d'une liberté farouche ? Ah oui oui oui ça me plaît plus. N'empêche que c'est joli le toy piano, que c'est joli que c'est joli.

Avec mes lunettes conceptuelles, chaussées à la va-vite dans le genre bancal asymétrique qui fait tout mon charme, je vois toujours le fil baladeur orange passé et je ne repasse jamais, je n'ai pas de fer et j'aime porter mes airs froissés, cochon qui s'en dédit, on dira que je m'habille chez Socrate et que je demeure indéfrisable, on dira bien ce qu'on veut. Il reste toujours un Manset à portée de cœur quand on ne sait plus écouter, quand on n'aurait plus d'oreilles internes ou externes derrière ses lunettes d'ouïe et le miracle est que la chanson soit bonne.


Oh miracles, oh tangentes. Oh petits sordides de l'existence, oh saillies de vie, oh ton décalé impertinent malin astucieux débile de toy piano qui sort par les oreilles pour en rentrer à d'autres on ne nous la fait pas. Oh délictueuses associations d'idées, oh lyrisme à la va-comme je te pousse un cri venu de l'intérieur. De n'importe quel pays, de n'importe quelle couleur orange passé. Comme les lampes orange des années soixante-dix, comme le kitsch orange et les toy pianos, comme la douce sensibilité exsangue désarmée dépouillée fragile et la personnalité se perdent à se marteler, à se faire crécelles et crédos, lunettes comeladiennes qui me permettent de tout écouter, au secours, j'ai peur qu'un jour nos petites roues cerclées se mettent des bâtons à elles-mêmes et déraillent comme en statues de sel, lunettes annulées d'avoir voulu chacune se regarder voir, oh focales, oh champs, oh tangentes oh miracles. Au fil baladeur de pensées qui s'annulent sous la lune comme d'autres hululent.

Mais encore. Faire un package de l'héritage sans plaquer ni contreplaqué aucun calque, des lunettes bancales qui descendent jusqu'au cœur. Le fameux, l'indémodable, le sensationnel cœur qui fait la différence, l'âme humaine allumée par la fenêtre des yeux et les verres progressifs de la vie du cœur du monde (comme ça, les trois mots sont lâchés, à chacun d'en découdre son petit fil baladeur, un peu à la façon des gourous de best-sellers, ça ne mange pas de pain la vie le cœur le monde aaaah l'âme humaine aaaaah la pertinence impertinente et décalée de ce toy piano qui sent bon le pin d'enfance cling cling ah que c'est malin que c'est astucieux que c'est ironique que c'est poignant cela me meut beaucoup de l'intérieur savez-vous).



Enfin voilà : ce que j'aime là-dedans, c'est cette façon de ne pas se prendre au sérieux et de poser les bonnes questions sans donner de leçons et cette capacité d'auto-dérision, et enfin ce style, bordel.

Ça donnerait envie de voir à grandes rasades (parce qu'"aimer c'est voir" et non pas "SKYiLLAD'P'lus beau"). Mieux voir. Avec les lunettes en face des yeux en face des trous en face de l'âme humaine. Ça donne envie de sourire, mais pour de vrai.

Ça donnerait envie d'écrire. Mieux.

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