Où en étions-nous déjà ? Le linge danse ; spirales et
circonlocutions. Il y aussi un fil qui se défait à chaque tour et à
chaque fois. Il est orange, a peut-être été rouge et a démissionné de
son pli pour voyager à travers les autres tissus. Il se déroule sans fin
et semble appartenir à tous. Il est témoin de l'effilochage général et
fil mutin qui dévêt tout. Il est le lien et la rupture, l'histoire sans
fin ni commencement. Tout ne tient qu'à ce long fil enquiquinant, et
rien ne tient que ce fil. Parque, y-es-tu ? Destinée itou ? Qu'est-ce
qu'il va se passer maintenant ? Toujours super rien.
Oh, tangentes.
Un
bout d'ongle vient crisser sur le drap, les cheveux s'emmêlent, les
voitures blindées paradent linéaires, les fils lâches tendent de rien à
rien. Et je n'ai toujours pas lu Michel Foucault, ça me semble toujours
au-dessus de mes moyens et c'est un peu désolant parce que si nous
étions en deux mille douze j'aurais déjà plus de trente ans, l'âge
limite du poème-graffiti de Leonard Cohen : MARITA / PLEASE FIND ME / I
AM ALMOST 30. Une philosophe de profession et à lunettes disait dans une
émission télévisée, en sorte de bonus track d'après-développement : "ce
pourquoi je serai toujours reconnaissante envers Michel Foucault, c'est
de m'avoir fourni une méthode, un angle de vue, des lunettes" -
précisément - "pour développer ma propre pensée."
Mettons
que j'aie une pensée, mettons que j'aie un propos. J'en dirais autant
de Comelade et de son éthique de la reprise. Doit-ce être une influence
automatique, à base de toy piano, de toy piano, de pianos-jouets et
autres jouets pianos, tintinnabulants et métalliques, sonnants
trébuchants, ouh que c'est mignon, oh tiens un air d'enfance, non, j'en
ai marre. Doit-ce être une référence de collectionneurs de jouets
détournés (et de piano-jouets, ouh que c'est enfantin et mignon, ah
l'innocence, ah le petit air fantaisie, tong tong cling, ouh que c'est
mignard et mièvre et maniéré), d'accumulateurs patentés, du syndrome de
Diogène en pop expérimentale, non, j'espère non. Seront-ce des lunettes à
soi, de l'intelligence et de la musique sympathique avant d'être
empathique, dépouillée, adulte et folle, courageusement ludique, d'une
ironie mordante et d'une liberté farouche ? Ah oui oui oui ça me plaît
plus. N'empêche que c'est joli le toy piano, que c'est joli que c'est
joli.
Avec mes lunettes conceptuelles, chaussées à la
va-vite dans le genre bancal asymétrique qui fait tout mon charme, je
vois toujours le fil baladeur orange passé et je ne repasse jamais, je
n'ai pas de fer et j'aime porter mes airs froissés, cochon qui s'en
dédit, on dira que je m'habille chez Socrate et que je demeure
indéfrisable, on dira bien ce qu'on veut. Il reste toujours un Manset à
portée de cœur quand on ne sait plus écouter, quand on n'aurait plus
d'oreilles internes ou externes derrière ses lunettes d'ouïe et le
miracle est que la chanson soit bonne.
Oh
miracles, oh tangentes. Oh petits sordides de l'existence, oh saillies
de vie, oh ton décalé impertinent malin astucieux débile de toy piano
qui sort par les oreilles pour en rentrer à d'autres on ne nous la fait
pas. Oh délictueuses associations d'idées, oh lyrisme à la va-comme je
te pousse un cri venu de l'intérieur. De n'importe quel pays, de
n'importe quelle couleur orange passé. Comme les lampes orange des
années soixante-dix, comme le kitsch orange et les toy pianos, comme la
douce sensibilité exsangue désarmée dépouillée fragile et la
personnalité se perdent à se marteler, à se faire crécelles et crédos,
lunettes comeladiennes qui me permettent de tout écouter, au secours,
j'ai peur qu'un jour nos petites roues cerclées se mettent des bâtons à
elles-mêmes et déraillent comme en statues de sel, lunettes annulées
d'avoir voulu chacune se regarder voir, oh focales, oh champs, oh
tangentes oh miracles. Au fil baladeur de pensées qui s'annulent sous la
lune comme d'autres hululent.
Mais encore. Faire un
package de l'héritage sans plaquer ni contreplaqué aucun calque, des
lunettes bancales qui descendent jusqu'au cœur. Le fameux,
l'indémodable, le sensationnel cœur qui fait la différence, l'âme
humaine allumée par la fenêtre des yeux et les verres progressifs de la
vie du cœur du monde (comme ça, les trois mots sont lâchés, à chacun
d'en découdre son petit fil baladeur, un peu à la façon des gourous de
best-sellers, ça ne mange pas de pain la vie le cœur le monde aaaah
l'âme humaine aaaaah la pertinence impertinente et décalée de ce toy
piano qui sent bon le pin d'enfance cling cling ah que c'est malin que
c'est astucieux que c'est ironique que c'est poignant cela me meut
beaucoup de l'intérieur savez-vous).
Enfin voilà : ce que
j'aime là-dedans, c'est cette façon de ne pas se prendre au sérieux et
de poser les bonnes questions sans donner de leçons et cette capacité
d'auto-dérision, et enfin ce style, bordel.
Ça donnerait
envie de voir à grandes rasades (parce qu'"aimer c'est voir" et non pas
"SKYiLLAD'P'lus beau"). Mieux voir. Avec les lunettes en face des yeux
en face des trous en face de l'âme humaine. Ça donne envie de sourire,
mais pour de vrai.
Ça donnerait envie d'écrire. Mieux.
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