4 - Titre percutant






De grands moments vides où rien ne convient, mais rien ne gêne trop non plus. On commence à se dire qu'il serait bon d'arrêter le tabac parce qu'il est néfaste et cher ; qu'on n'est plus si jeune (ce ne serait pas un jour où on se sentirait horriblement vieux, juste "plus si jeune" : se confrontant au temps avec plus de réticence que de révolte, renâclant gentiment mais ouvert à toute éventuelle négociation, plutôt que déterminé à lui tourner le dos - prêt à remplir à un formulaire puis à faire la queue au guichet des réclamations du temps - résigné à une patience d'usure ["life is fair but so uncool"] dans le protocole du procès contre le temps - "plus si jeune" et à la même enseigne que tout le monde, mesquin et commun, avec seulement des phrases plus longues et un petit air d'on-ne-sait-pas-où-il-veut-en-venir, avec une pointe de dites-moi-on-dirait-même-qu'il-le-fait-exprès-et-que-ça-le-fait-sourire), arrêter le tabac et faire taire un peu cette musique jamais trop utile et chère aussi, très chère musique, très cher art pauvre, très cher minimalisme de minimas sociaux, on pourrait arrêter aussi le chocolat, la libido, le délire poétique, les amis, on pourrait arrêter aussi d'arrêter, arrêter le renoncement, arrêter l'esprit d'entreprise, arrêter la déprime de n'en faire pas assez, la flemme d'en faire trop, l'écoulement indéfini de cette phrase et juguler le flot incoercible de nouvelles phrases bondées de petits mots qui ne supportent pas la promiscuité, tous ces mots serrés contre d'autres dans ce wagon de métro bancal qui a gardé l'odeur de cigarettes des années soixante-dix, tous ces mots qui rêvent d'exprimer leur individualité et qui "se font tout petits dès qu'ils peuvent en dire un mot" - les petits mots qui se font tout petits quand ils peuvent en dire un mot, l'excès de citations de Dominique A et autres mantras du métro, autres mantras du métro, des jours où tout arrêter mais pas trop, disons que ça ne se verrait pas tellement, même par l’œil intérieur, peut-être parce que - certains jours - on n'a pas trop l’œil intérieur en face du trou intérieur - et qu'on ne demande qu'à biaiser, biaiser à perdre alien, pardon, pardon, d'accord, d'accord, je retourne dans la file et j'attends poliment.




De grands moments trop pleins de vide, où on pourrait tomber sur l’œuvre qui donne un sens à sa vie - des jours ainsi où on ne dit pas je, le vide a ses pudeurs et ses modesties, fausses sans doute comme les jours où le matin tombe à midi et où l'on pense à arrêter de fumer - tiens j'ai rêvé d'une voiture qu'on m'offrait en attendant que j'obtienne mon permis - la monitrice ornait ses vitres de découpages enfantins en espèce de papier mâché dont j'espérais qu'il ne tiendrait pas trop longtemps, avec mon prénom dessus maladroitement calligraphié - je pensais qu'à 40 ans je pourrais conduire et je chantais Autonomy des Buzzcocks - on pourrait faire un roman avec les titres des chansons des Buzzcocks - des jours où on pourrait tomber sur l’œuvre de sa vie en faisant "moui pas mal, j'écouterai tiens, un jour où j'aurai plus envie d'y croire".

Ça pourrait être un jour merveilleux, le jour où, réalisant qu'on n'a jamais eu l'air cool, et que les quelques moments où on croyait l'avoir, cet air cool, sont sans doute les plus tendus et douloureux de notre existence - on pourrait avoir envie de s'habiller plus mal encore, d'écouter encore moins les bons disques, les bons artistes, de faire des phrases plus longues et d'accéder au paradis déconnecté des fous sur la colline ; mais on est trop cérébral, on aime trop l'ironie, on ne peut pas prétendre à l'art brut, il n'y a pas de file d'attente, l'illumination a trop tardé et nous sommes tombés facilement dans le commérage en bas de l'escalier, nous nous sommes vite retrouvés à bavarder de nos vides, nous n'avons jamais eu l'air cool mais nous n'avons jamais été si seul non plus, alors, back to nowhere initial, back to where it all began.


Des jours où on passe plus de temps à chercher de la musique à écouter qu'à écouter de la musique. Le jour des vagues curiosités. Des provisions d'espérance, des espoirs provisoires. On pourrait arrêter les phrases à rallonges à coulisses à tiroirs, le tabac les dépendances les rêves et les voitures, la musique peut-être mais pas les Buzzcocks. Ce n'est pourtant pas le meilleur groupe du monde. D'abord, il y a "cette histoire de bite dans leur nom", comme dirait le personnage de Ian Curtis dans Control je crois (romancé, adapté, scénarisé, traduit, puis en l'état cité de mémoire par votre serviteur, je ne lui ferais pas une confiance sans bornes à votre place), ce côté potache et cette tendance punk à s'auto-discréditer, cet air de bien trop s'amuser pour rentrer dans la sphère du songwriting sérieux dans-une-maison-de-campagne-retiré-du-monde-comme-un-écrivain-pain-bénit-du-rock-érudit-muni-des-moyens-analytiques-de-l'étudiant-en-lettres-et-auquel-il-ne-reste-plus-qu'à-appliquer-ses-grilles.

Mais on n'a pas les meilleurs oreilles du monde, on n'a pas le meilleur cœur du monde, on n'est pas un écrivain, on n'est pas bien sûr tous les jours d'être un formidable songwriter et malgré complexes scrupules spirales tristesses et ces grands moments de vide, quand tout le reste et le plus pointu, et le plus pertinent, et le plus "digne d'attention" fout le camp, il ne reste pas des masses de groupes à la fois humanistes, intelligents, drôles et vivants - à notre connaissance, qui pour notre part n'est qu'un amas d'ignorances et de préjugés désireux et inquiets d'accéder à leur puberté, ignorances et préjugés se pressant les unes contre les autres dans un wagon métaphorique qui a perdu le fil de ce qu'il voulait dire. Alors on écoute "Hollow inside" en se disant que la prochaine fois, un jour moins vide, on essaiera de chroniquer autre chose que les Buzzcocks et Dominique A, mais que là...

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