Le parfait branleur, donc : branleur, mais parfait. Le bonhomme,
l'autofictif si je peux emprunter ce terme au brillant Chevillard sans
trop me faire engueuler. Nous ne sommes pas en deux-mille douze, j'ai 15
ans, je viens d'écrire une première chanson d'amour terriblement
goldmanisante sur le ton du "bah, ce que j'ai à te proposer n'est pas
très fameux, je pense même qu'il y a moyen que tu te sentes encore plus
seule avec moi, et il n'est pas dit que nous ne sombrions pas dans
l'ennui assez rapidement, mais à ta place, je tenterais le coup quand
même, on ne sait jamais" (sous-entendu : "imagine que je devienne aussi
populaire que Jean-Jacques, en plus bizarre quand même, plus proche d'un
Thiéfaine straight-edge ou d'un Higelin introverti, mâtiné de Zappa
mais sans mépris ou de John Cage juste en tout petit peu moins, heu,
intelligent - bon je vais faire vite car je ne connais pas ces noms,
j'ai 15 ans, je ne vois pas l'intérêt que trouve ce monsieur "Cohen" à
reprendre les chansons un peu tartes de Graeme Allwright, je ne connais
pas plus la notion de straight-edge que celle de name-dropping, je ne
connais que Jean-Jacques qui m'agace déjà ; alors, imagine que je
devienne witold bolik ? Le maître incontesté de sa chambre à coucher ?
Perfect wanker, ce qui n'est déjà pas mal, non ?") - Quel angle, dites !
J'ai
15 ans, les calendriers marquent "pas deux mille douze" et je pense que
la musique peut m'aider à rencontrer des filles. Plus tard je découvre
l'ascèse pop. Période d'un à deux ans pendant laquelle nous écrivons des
chansons, qui pour panser les plaies, qui pour les raviver, qui pour
affirmer sa volonté de se frotter aux forces de l'ordre, qui pour
professer sa foi en l'humanité. Après on les fait écouter et il se
trouve toujours quelqu'un pour être touché par ça, alors l'ascèse est
passée comme une lettre à la poste et il s'agit de défendre son steack,
coeur brisé, foi en l'humanité, en l'anarchie, en l'absurde, en soi, en
personne, en quoi que ce soit. Et là c'est la foire aux ascèses, à
l'empathie, le chantage pop affectif, "tu comprends mon coeur brisé a
plus de poids que le tien et donc mérite la vedette américaine, pourquoi
ma foi en l'humanité est-elle en si petit sur l'affiche ? Ah moi ma
volonté d'en découdre avec les agents de la sûreté n'y est même pas tu
vois ! Et allez, mes plaies ravivées bradées à 20 h 04 pour trois meufs
qui ne seront là que parce qu'elles y travaillent ! Tes plaies bien
pansées bien ficelées en prime time Jean-Jacques !" Petits moinillons
agnostiques prêts à s'égorger pour faire valoir leur sensibilité en
guise de foi. Ca fait du bien de s'emballer des fois, comme la plupart
de ce que je lis manque de guitares et d'électricité, je shredde un peu
mes désillusions (shredder : broder à la façon des guitaristes solistes,
beaucoup de notes et peu de sens, virtuosité démonstrative et primauté
de la technique sur l'émotion - en l'occurrence, ce qui me fait
d'habitude à peine pouffer d'un air désabusé parce que ça existe dans
tous les milieux et de toutes les façons devient la matière d'une
harangue et d'une envolée... Bref.)
Et donc :
WHEN I GET FAMOUS - PATRIK FITZGERALD
"Quand
je serai célèbre, il y aura tellement de gens qui voudront me connaître
(...) Je m'en fiche que leur amour soit irréel, je veux juste savoir
comment ça fait (...) (mélancolique) Je veux que quelqu'un m'aime ;
parce que (colérique) toi tu m'as rejeté, vous vous m'avez rejeté"
Le
tout dans un format miniature tout de dérision, humble et roublard à la
fois, drôle et poignant, génial et je n'emploie pas ce mot tout le
temps. Quand je pense que j'ai déjà 15 ans et que je ne connais même pas
ça. A la place (mais là j'ai 10 ans) une jolie fille dans la cour
d'école chante "elle attend..." de l'album "non homologué" de
Jean-Jacques. Je reprends avec elle : "Elle attend..." (c'est la suite
des paroles). Alors elle reprend, dans un jeu de complicité enfantine :
"elle attend"... Et là, inspiré, ému, bouleversé par la force des
paroles, comme en un état second, je pousse en un gémissement presque
gospel à l'intérieur : "elle attend !". Alors, Marjorie reprend, tandis
que la cour s'efface, que les ballons et les billes jetés de toute
éternité par cette nuée de mains enfantines, restent suspendus comme à
jamais : "Elle attend." - Et là, je dis : "heu non, attends, je crois
qu'il n'y en n'a que quatre en fait, en tout cas je suis sûr que ce
n'est pas la bonne note - je vérifierai ce soir mais vraiment je suis à
peu près sûr qu'il y a une erreur - tu ne confonds pas avec l'histoire
du pain sur le balcon ?" Elle s'en va, ballons, billes, claques et tapes
dans l'épaule, reprennent leur cours, et je sors de ma poche un tout petit clavier électronique à pile 9-volts pour m'amuser avec.
N'importe quoi.
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