1 - prélavage - Chronique un, temps zéro

Je me dis souvent "pourquoi n'écris-tu pas" (ce début mais c'est la petite phrase entêtante de la copine d'Henry Miller, tendrement lancinante, tendrement lancinante)"enfin directement sur la musique", et je me réponds "sur un autre ton s'il te plaît", ça s'appelle la transposition je crois, mais je n'y connais rien, "mais je n'y connais rien !" - le rien que j'en connais pourtant tout ce que j'en lis tout le temps, et tout ce qu'en mon for intérieur - c'est tout le temps le for intérieur, et quand ça sort c'est plein de forteresses escarpées, sinueuses, des murailles d'incises de Troie, oh tiens je garde ça, "voilà pourquoi - c'est trop compliqué".


Mais c'est plus compliqué que ça, je me dis souvent, pourquoi ne pas aborder de front, comme ils font en hip-hop, bonjour et yo, ce sujet je le développe, voilà ce que j'ai à en dire, merci, le morceau est terminé. Pourquoi ne pas essayer, pourquoi ne pas prendre un titre de morceau, et dire, voilà ce que j'en pense, pourquoi j'en parle et ce que j'ai à en dire, ou bien ce sera déjà dans un autre sens, et le morceau ne se termine jamais, il y a ce truc d'angle à avoir quand on s'adresse à tout le monde, merci mais c'est trop, c'est trop compliqué.



Pourtant ce que j'en lis me fait tout le temps "mais pourquoi ne parlent-ils pas de ça, puisqu'eux s'y sont lancés dans ça, d'écrire sur ça, pourquoi mais non je ne suis pas d'accord" - trop de pourquoi, n'est-ce pas. Non ce n'est pas ça, "pourquoi écris-tu toi ? Ne fais-tu pas le boulot que je devrais faire à l'instant ? Attends un peu, avec tout le respect que je te dois tu t'y prends mal. Tu as oublié mes obsessions et mon style. Tu as oublié tout ce dont je devais parler, je te laisse depuis trop longtemps le faire à ma place, des fois c'est pas mal, des fois c'est vraiment juste, des fois je n'y aurais même pas pensé et la formule est parfaite et alors je me dis (qu'est-ce que je me parle, souvent) "voilà ce que je devrais faire, parler comme ça de ça, parce que c'est exactement ça" - et là je pense "bravo à toi", mais sans m'adresser à moi, bravo de l'autre, mais je ne peux pas le dire parce que j'aurais l'air de lécher les bottes et je n'aime pas ça. Et puis – ce n'est jamais exactement ça.

"Pourquoi n'abordes-tu pas de front", etc. "Pourquoi n'écris-tu pas", dans les jolies italiques de Mona. Bon, voilà. Une introduction en règle, extrêmement parfaite brouillon bavarde. Donc je n'ai qu'à mettre un titre là, et parler de ça.

DOMINIQUE A - AUGURI



Pas celui-là, pas maintenant. Pas de raison d'en parler, mais qu'est-ce que j'y connais, qui suis-je pour juger, bon c'est mon opinion, nous avons déjà évoqué ces réticences brillamment plus haut. C'était limpide et évident confus lourdingue. Et pourquoi pas Auguri, Dominique A. Parce que je n'ai comme souvenir du disque que les gémissements hispanisants d'Antonia qui m'ont fait secrètement rire ? Et la reprise de Dalida. Oh ça me revient maintenant, et ses yeux brûlent ou quelque chose comme ça. Et Je t'ai toujours aimée, reprise qu'en secret je n'aimais pas d'une chanson qui, moi, ne m'a vraiment pas fait ce que j'en ai lu. Ni vraiment ce que j'en ai écrit, c'est pour ça que c'est de ça qu'il faut que je parle, n'est-ce pas. (je déteste les "n'est-ce pas", glacial souvenir d'une interview de Céline ponctuée de "n'est-ce pas" effrayants, je me demande si d'ailleurs je n'en n'ai pas déjà parlé dans un texte avant, peu importe, personne ne me lit - et là je rigole en écrivant ça hein).

Voilà pourquoi. C'était mes premières chroniques, je serais tenté de me vanter du fait qu'on n'était pas nombreux à admirer et soutenir Dominique A., mais en vrai j'étais lambda, lambda france inter du courage des oiseaux, pas un découvreur et pas forcément en avance. Par contre le fait que Franck me file un exemplaire promo du disque, ouaouh. Le fait qu'il me soit impossible physiquement d'en dire du mal malgré ma déception. "Physiquement" pour ce qu'on écrit ça fait bizarre mais c'est ça. Comme les piqûres de "n'est-ce pas" ou les souffles italiques de Mona sur l'air de "pourquoi n'écris-tu pas", la phrase la plus sensuelle du monde (comme disent les chroniqueurs, comme font les chroniqueurs quand je me dis en les lisant " aaaah mais pourquoi ne parles-tu pas de ça, pourquoi n'es-tu pas moi, qui t'a donné la confiance du superlatif et pourquoi faut-il que j'hérite des louvoiements sarcastiques d'une prose en spirale tout sauf efficace et journalistique comme la gueule de bois instrumentale et sans lyrics, la page blanche d'un - eh oui il va le ressortir - Lester Bangs, rho Lester Bangs c'est bon ça va, c'est que je me dirais si j'étais vous là, "quoi Lester Bangs encore ouarf c'est bon ça va" - texto, je me dirais ça.)

 
Physiquement impossible de dire ce que j'en pensais, trop content de pouvoir en parler, d'avoir ma tribune et mon disque promo offert, ouaouh. Mais je n'aimais pas ce disque, mais j'aimais encore moins en moi le fait de ne pas l'aimer, et je n'ai pas eu le courage des oiseaux de mon opinion, c'était dans mes premières chroniques et ce fût la dernière à ce jour, je n'ai plus voulu autant transiger avec moi après - enfin, pas sur ce genre de choses. Me le serais-je avoué puis l'aurais-je dit, que ça ne me plaisait pas : je me serais senti comme mon propre paria (comme là ?). Enfin c'est un choix que j'ai fait et c'était une des plus grosses déceptions de toutes celles que j'ai passé ma vie à m'infliger (oh il y a du vrai, mais c'est essentiellement pour la formule).


Déception de moi, je le répète et tambourine. Que Dominique A fasse un disque qui ne me plaît pas et « accède à un plus large public » via « l'album de la maturité ? » (TOUJOURS un point d'interrogation après un tel cliché, en fait le point d'interrogation canonise le cliché, le re-clichétise), c'est le jeu, c'est bien, que moi je ne la sente pas l'orientation « grande chanson bien ficelée », ça ne fait de mal à personne, du tout ! Je me serais exprimé publiquement dans une chronique par exemple, comme font les gens et notamment les journalistes. Eh bien non, je me suis menti et j'ai tu ma déception, ce qui n'a fait que l'augmenter bien sûr. Merde, c'est intime, la relation de mes oreilles à des chansons, ça n'est pas fait pour s'étaler là, qui plus est dans un format plaisant rapide concis journalistique, pas égocentrique du tout, mais alors non non non, jamais, c'est vraiment pour s'adresser à tout le monde et dire, en substance, avec de jolis mots un peu plus pesés :

« AH, AUGURI ? CE N'EST VRAIMENT PAS MON PRÉFÉRÉ. JE LE TROUVE UN PEU SURFAIT ET MANIÉRÉ. L'ORIENTATION « GRANDE CHANSON BIEN FICELÉE », LA, TOUT DE SUITE, MOI JE NE LA SENS PAS TROP, MAIS CA N'ENGAGE QUE MOI ! »

Voilà. Replongeons-nous une bonne grosse quinzaine d'années en arrière, imaginons que l'album vienne de sortir, et que vous tombiez dans un sympathique fanzine clermontois sur une chronique de François Doreau. Eh bien, c'est celle-là, la vraie. Efficacité dans la recherche du temps perdu, comme diraient Proust et Delarue. Elle annule et remplace l'obscure mienne, où en plus, pour de vrai, je me rappelle avoir écrit : « album de la maturité », sans même une pointe de second degré. Un enfant terrorisé à l'idée de donner son avis, et cependant, vous n'avez pas idée d'à quel point ça fait du bien, de remettre ainsi à rebours les choses en place.

Voilà ce que je veux commencer à faire, si je me ramène enfin à parler musique de but en blanc avec concision netteté lenteur et égocentrisme, fuck le facteur temps, mes oreilles il peut leur falloir 10 ans pour savoir ce qu'elles en pensent. Fuck le facteur sous, ça je crois que c'est évident. J'essaie juste de faire les choses bien et à mon idée. "bien" + "à mon idée", avec toutes les bagarres de contradictions musclées que ce double postulat suppose.

Je suis de bonne foi.

De bonne foi, quinze ans après, ah, Auguri non ça ne me l'a pas fait, j'ai bien des qualités mais je n'oublie pas, ça non, je ne sais pas oublier.



Merde, j'ai oublié En secret – ah là bon s'il n'y en n'avait qu'une. Et pour la peau. Et le commerce de l'eau. D'accord, soit, de très bonnes chansons. Mais moins de prise de risque et moins de personnalité – j'ai trouvé. Un disque plus filandreux, plus lâche qu'un « si je connais Harry », sans parler d'une Fossette dont il faut que j'arrête de parler. Et d'un Remué dur mais pas une seule seconde aussi EFFILOCHE qu'Auguri, A MON HUMBLE AVIS. Gardons notre sujet en tête, soyons professionnels, hein, « n'est-ce pas ».

Bon voilà, comme on dit dans le hip-hop merci bonsoir j'ai terminé et ça c'est fait. On m'objectera :... On m'objectera, mais bon. Je me serais déjà objecté de toutes façons. En matière d'objection je ne dois rien à personne, yo, ou n'est-ce pas, non, décidément yo. Yo it's christmas, comme dirait Jaga Jazzist dans son premier album sorti hier en 1996, attendu que nous ne sommes absolument pas en deux mille douze, et dont je parlerai quelques temps après ma vraie chronique d'Auguri, celle qui ne m'a pas déçu de moi, aka la prochaine fois. Ou absolument pas, parce que si ça se trouve j'adore ça seulement aujourd'hui à cause de la gueule de bois qui me fait préférer les longs morceaux contemplatifs à spirale comme les carnets. Et qui certes, frôlent le genre rock prog le cas échéant.

Spirale, spirale, spirale, je dis beaucoup spirale ces temps-ci. C'est comme ça.

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