Un jour acéré et pointu qui faisait mal de quel bout qu'on le prenne, mais du mal bien élevé, de la coupure, de la piqûre, de l'iconoclastie nécessaire, et "pour une fois tranquille, décidé", un jour sommets escarpés, bourrasque dans la tête et fierté douloureuse - ou bien, un jour d'humiliation complète, ou se demander quoi faire là et à quoi bon tout ça, un jour où les méchants gagnent et où on ne se satisfait même pas de ressortir du placard des vieilles fiertés douloureuses pas crédibles, rha, ce genre de jour-là, un beau jour disons, un jour déviant et bizarre et à retomber sur ses pieds de nuits comme tous les jours le font, ces cons, la main dans la main et mois par mois, le deuxième type le plus trash du monde mangeait de la gâche post-moderne. Il emboutit les commissures, fulgura les palétuviers et fit plein d'autres choses encore plus dégoûtantes.
"La vache, je suis trash !" - se disait-il. Il purula des ascenseurs, déflagorna du fat à l'entre-soi, et fit encore des tas d'autres choses encore plus écœurantes et vénériennes. "Sacrebleu, je deviens de plus en plus trash à chaque minute !" - se trasha-t-il ad hoc. "Mais comment se fait-il que je ne le sois toujours pas assez pour ne pas demeurer toujours le deuxième ? Et pourquoi cette phrase sonne-t-elle si compliqué, qu'est-ce que les mots ont contre moi encore ?" - il se posait un tas de questions vraiment intéressant - le tas. "Oh tiens, je vais acheter du pain neutre à la boulangerie du coin."
Des quatre murs qui se regardaient en chiens de faïence sans guère se pencher sur lui - il valait mieux, somme toute - les murs au moins sont droits - "nous l'avions compris" - "sinon si vous voulez je peux le répéter" - Oh délicieux jour d'où recueillir l'humour comme une rosée aux allures de lie amère du temps - de ces quatre murs raides et laids qui se prenaient pour son domicile, d'à peu près chez lui il poussa la porte.
La porte était guillerette. On ne sait quel coup de clés particulièrement bien tourné l'avait rendue d'un coup si accueillante, si légère dans son embrasure, son enveloppé de danseuse. La porte était belle. D'une beauté déplacée. D'une beauté incongrue. D'une beauté d'un autre jour, tombée là par erreur. Le type ne se laissa pas duper par ces mignardises de portes, et en saisit vigoureusement la poignée pour se jeter dehors à coups de pieds par terre.
La boulangerie flambait neuve. Ses étalages brassaient des petits pains en tout genre ; des pains de mie minimaliste, des feuilletés morts se ramassant à la pelle à tarte et toutes sortes de pâtisseries de l'école de Vienne. La boulangère tarabiscotait des clapotis aux prunes.
"Bonjour ! Qu'est-ce que vous auriez pour moi d'un peu neutre ? Enfin une esthétique qui ne prenne pas trop de risques, je ne me sens pas de taille aujourd'hui. J'ai beau être terriblement trash, la vache, j'ai mal digéré ma gâche.
- Mmmm... Une baguette ? C'est une valeur sûre. Et si son goût ne vous plaît pas non plus, vous pourrez toujours l'utiliser autrement.
- Qu'est-ce à dire ?
- Eh bien..." - la boulangère, sans se départir de son sourire aimable et commerçant, se lança alors dans un inventaire d'usages totalement inconvenants pour la pauvre baguette. Le narrateur n'est pas bégueule, et le deuxième type le plus trash du monde l'était encore moins que le narrateur. Mais tous deux se tinrent cois devant le monstrueux débit de l'avenante boulangère. Le plus étonnant est que, malgré la violence de sa diatribe, elle demeurait d'un calme entier, d'une bienveillance sans faille. La baguette sur son pan de bois se faisait outil de torture, vengeur sanguinaire de mille apocalypses, guillotine bien affûtée, œil pour œil et dent pour dent. Le deuxième type le plus trash du monde dut sortir prendre l'air en plein milieu de ce long discours venimeux, tant il était choqué par son affreuse sauvagerie, à travers les mots choisis et le ton bienséant.
Il revint pâle et défait. La boulangère, qui ne s'était pas formalisée de l'escapade de son client, terminait à peine :
"... Ou sinon, attendre un ou deux jours et en faire du pain perdu : c'est bon, le pain perdu.
- Aaaaaaah", gémit le deuxième type le plus trash du monde, "n'en jetez plus, je crois que je n'ai plus faim. C'est trop trash pour moi.
- Petite nature, va" soupira la boulangère, qui était bien le type le plus trash du monde.
Le type rentra at home. Il n'avait plus le goût à scornubifler les harpassons. Il n'avait plus faim du tout. Il n'avait rien envie de foutre en l'air. Il ne se sentait pas trash du tout, ni premier ni deuxième.
Juste déçu.
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