Colère cramoisie. Fierté dissoute. C'est bon, ça. Trois jours que je suis dessus, je ne désespère pas d'en faire quelque chose.
J'en ai fait de bien meilleures avec moins que ça. Je ne sais pas, on peut toujours amplifier, diluer, tourner en dérision ou sublimer un sentiment, une émotion, une sensation. On est là pour ça, après tout.
La colère cramoisie. Les fiertés dissoutes. Je sais de quoi ça parle, je les ai vues trois fois en concert, je les ai connues toutes petites, je les ai vues grandir et se perdre, s'emballer, se dégonfler, rire ensemble d'elles-mêmes pour se heurter à nouveau, fricoter avec des sentiments plus nobles, des pensées plus générales, se poser des questions et se donner toutes les réponses, même la bonne incidemment, je les ai vues faire tout ça et je n'en ai pas loupé un épisode, j'ai fustigé la paresse des scénaristes puis salué leurs coups d'éclats, j'ai vécu ça, j'ai adoré, j'étais accro, fan ou contempteur, au même niveau. J'avais tous leurs disques que je connaissais par cœur, j'étais au courant de leurs tours rhétoriques qui pourtant ne perdaient rien de leur impact sur moi, et j'avais toujours plaisir à répéter "Comme vous m'avez eu ! Par quelle magie fonctionnez-vous encore, et toujours aussi bien !".
Colères cramoisies, fiertés dissoutes, prismes inaliénables, grille blindée de ma compréhension du monde, lunettes teintées correctrices et créatrices, et je jonglais, j'allais de l'une à l'autre, et dans ce mouvement je trouvais ma raison d'être - j'en devins spécialiste, érudit. De partout dans le monde les gens venaient me poser des questions, il y avait des pourquoi, des comment, des "vous avez changé ma vie" et des "je m'oppose à votre interprétation", il y avait deux files d'attente : colères cramoisies, fiertés dissoutes, des vigiles pour éviter les échanges et arrangements d'une file à l'autre, la vente au noir de tickets pour l'un ou l'autre de mes spectacles qui ne désemplissaient pas...
Colères cramoisies ! Fiertés dissoutes ! La seule mention de ces noms euphoniques suffisaient à créer un mouvement de foule, qui parfois dégénérait en émeute. Des copies clandestines circulaient : Désagrément et contrariétés ! Dépit ! Affliction à la pelle ! Avanies et vexations ! En somme, les colères cramoisies et fiertés dissoutes du pauvre, de pâles avatars du succès des premières.
J'avais lancé la mode. J'avais été le premier. Je m'étais élevé au rang de connaisseur et j'avais acquis une véritable maîtrise de mon sujet qui me donnait de grands espoirs de carrière.
Et voilà qu'un jour - aujourd'hui - je me retrouvais avec ces deux-là, mes deux vieilles seules amies, colère dissoute, fierté cramoisie, peu importe - à me demander quoi faire d'elles - elles m'ennuient.
Je n'ai plus goût de vous canaliser en révolte et élans fougueux, en tendresse et coups de lyre, en frou-frou vespéral et chatouillis acoustiques, je vous connais trop bien et je me lasse de vous.
Aussi bien, colère cramoisie, fierté dissoute, vous lassez-vous de moi : je ne vous entends plus frapper quand vous entrez chez moi, vous prenez vos aises et ne ménagez plus de surprise. Vous faites un peu partie des meubles et vos formicas s'étiolent. Je crois que nous nous ennuyons ensemble, mes deux vieilles chères seules amies, je crois que nous perdons du piment et de l'envie, que nous n'avons plus besoin de parler pour nous connaître et que nous nous devinons d'avance, jusqu'à l'oubli.
Oui, c'est un raccourci. Vous le connaissiez aussi ? Vous ne m'écoutiez plus, n'est-ce pas, vous m'avez déjà tout entendu. Il faut se dire au revoir, mes deux jolies. Je ne peux rien faire de vous et vous ne me faites plus rien non plus. On peut toujours se remémorer les temps où toi tu m'empoignais, toi tu relâchais ton étreinte pour venir me piquer au moment où je ne m'y attendais pas, se rappeler les bons vieux temps où nous nous défiions puis réconciliions, nous réécrire en d'autres langues - la vérité est que nous nous sommes lassés de tout ça et qu'il faut passer à autre chose.
L'autre vérité est que je ne sais pas quoi. Peut-être tenter de ces parties à plusieurs : fierté (dissoute, nonobstant), colère (parfaitement cramoisie), orgue électronique et mort-aux-rats. Pourquoi pas ? Amour de l'humanité ! Espoir cosmique ! Et mort-aux-rats.
Non, vraiment. Je ne vois pas le point, comme disent les anglais. Colère cramoisie ? Fierté dissoute ? Je vous trahis sous vos yeux, je racole ostensiblement n'importe quel concept pour piquer votre jalousie, et vous ne dites mot ?
Fierté dissoute ! N'as-tu pas d'amour propre ?
"Moi, tu sais, l'amour-propre..." répond-elle d'un ton mollasson d'ado ensuqué. En grignotant des chips éventées, restes d'un autre apéro velléitaire.
Colère cramoisie ! Où as-tu foutu ton flingue ?
"Oh pardon, je l'ai oublié, je ne m'en servais plus... Puis j'ai pris un peu de ventre et ma ceinture-revolver me serrait trop à la taille... Eh oui, tu sais, l'âge..." Et de baisser les bras, édulcorés comme l'autre, affadies toutes deux, à peine là, tiens, et vraiment plus rien à dire en tout cas.
Fierté dissoute. Colère cramoisie. Laissons-les là, s'abrutir dans leur confort. A moi, les Je-ne-sais-quoi de mieux, sentiments inconnus et touts à refaire ! A moi, candeur juvénile de l'apprenti ! Bains de foule et romans-fleuves initiatiques ! A non-moi, désintégration d'égo ! A personne, quoi que ce soit !
"A d'autres !" crie-t-il encore, dans un tue-tête. Mais les deux restent là, tout impotentes et rassasiées qu'elles sont, bientôt obèses mais jamais mortes.
C'est qu'il faudrait partir, et qu'on ne fait jamais que dire au revoir.
J'en ai fait de bien meilleures avec moins que ça. Je ne sais pas, on peut toujours amplifier, diluer, tourner en dérision ou sublimer un sentiment, une émotion, une sensation. On est là pour ça, après tout.
La colère cramoisie. Les fiertés dissoutes. Je sais de quoi ça parle, je les ai vues trois fois en concert, je les ai connues toutes petites, je les ai vues grandir et se perdre, s'emballer, se dégonfler, rire ensemble d'elles-mêmes pour se heurter à nouveau, fricoter avec des sentiments plus nobles, des pensées plus générales, se poser des questions et se donner toutes les réponses, même la bonne incidemment, je les ai vues faire tout ça et je n'en ai pas loupé un épisode, j'ai fustigé la paresse des scénaristes puis salué leurs coups d'éclats, j'ai vécu ça, j'ai adoré, j'étais accro, fan ou contempteur, au même niveau. J'avais tous leurs disques que je connaissais par cœur, j'étais au courant de leurs tours rhétoriques qui pourtant ne perdaient rien de leur impact sur moi, et j'avais toujours plaisir à répéter "Comme vous m'avez eu ! Par quelle magie fonctionnez-vous encore, et toujours aussi bien !".
Colères cramoisies, fiertés dissoutes, prismes inaliénables, grille blindée de ma compréhension du monde, lunettes teintées correctrices et créatrices, et je jonglais, j'allais de l'une à l'autre, et dans ce mouvement je trouvais ma raison d'être - j'en devins spécialiste, érudit. De partout dans le monde les gens venaient me poser des questions, il y avait des pourquoi, des comment, des "vous avez changé ma vie" et des "je m'oppose à votre interprétation", il y avait deux files d'attente : colères cramoisies, fiertés dissoutes, des vigiles pour éviter les échanges et arrangements d'une file à l'autre, la vente au noir de tickets pour l'un ou l'autre de mes spectacles qui ne désemplissaient pas...
Colères cramoisies ! Fiertés dissoutes ! La seule mention de ces noms euphoniques suffisaient à créer un mouvement de foule, qui parfois dégénérait en émeute. Des copies clandestines circulaient : Désagrément et contrariétés ! Dépit ! Affliction à la pelle ! Avanies et vexations ! En somme, les colères cramoisies et fiertés dissoutes du pauvre, de pâles avatars du succès des premières.
J'avais lancé la mode. J'avais été le premier. Je m'étais élevé au rang de connaisseur et j'avais acquis une véritable maîtrise de mon sujet qui me donnait de grands espoirs de carrière.
Et voilà qu'un jour - aujourd'hui - je me retrouvais avec ces deux-là, mes deux vieilles seules amies, colère dissoute, fierté cramoisie, peu importe - à me demander quoi faire d'elles - elles m'ennuient.
Je n'ai plus goût de vous canaliser en révolte et élans fougueux, en tendresse et coups de lyre, en frou-frou vespéral et chatouillis acoustiques, je vous connais trop bien et je me lasse de vous.
Aussi bien, colère cramoisie, fierté dissoute, vous lassez-vous de moi : je ne vous entends plus frapper quand vous entrez chez moi, vous prenez vos aises et ne ménagez plus de surprise. Vous faites un peu partie des meubles et vos formicas s'étiolent. Je crois que nous nous ennuyons ensemble, mes deux vieilles chères seules amies, je crois que nous perdons du piment et de l'envie, que nous n'avons plus besoin de parler pour nous connaître et que nous nous devinons d'avance, jusqu'à l'oubli.
Oui, c'est un raccourci. Vous le connaissiez aussi ? Vous ne m'écoutiez plus, n'est-ce pas, vous m'avez déjà tout entendu. Il faut se dire au revoir, mes deux jolies. Je ne peux rien faire de vous et vous ne me faites plus rien non plus. On peut toujours se remémorer les temps où toi tu m'empoignais, toi tu relâchais ton étreinte pour venir me piquer au moment où je ne m'y attendais pas, se rappeler les bons vieux temps où nous nous défiions puis réconciliions, nous réécrire en d'autres langues - la vérité est que nous nous sommes lassés de tout ça et qu'il faut passer à autre chose.
L'autre vérité est que je ne sais pas quoi. Peut-être tenter de ces parties à plusieurs : fierté (dissoute, nonobstant), colère (parfaitement cramoisie), orgue électronique et mort-aux-rats. Pourquoi pas ? Amour de l'humanité ! Espoir cosmique ! Et mort-aux-rats.
Non, vraiment. Je ne vois pas le point, comme disent les anglais. Colère cramoisie ? Fierté dissoute ? Je vous trahis sous vos yeux, je racole ostensiblement n'importe quel concept pour piquer votre jalousie, et vous ne dites mot ?
Fierté dissoute ! N'as-tu pas d'amour propre ?
"Moi, tu sais, l'amour-propre..." répond-elle d'un ton mollasson d'ado ensuqué. En grignotant des chips éventées, restes d'un autre apéro velléitaire.
Colère cramoisie ! Où as-tu foutu ton flingue ?
"Oh pardon, je l'ai oublié, je ne m'en servais plus... Puis j'ai pris un peu de ventre et ma ceinture-revolver me serrait trop à la taille... Eh oui, tu sais, l'âge..." Et de baisser les bras, édulcorés comme l'autre, affadies toutes deux, à peine là, tiens, et vraiment plus rien à dire en tout cas.
Fierté dissoute. Colère cramoisie. Laissons-les là, s'abrutir dans leur confort. A moi, les Je-ne-sais-quoi de mieux, sentiments inconnus et touts à refaire ! A moi, candeur juvénile de l'apprenti ! Bains de foule et romans-fleuves initiatiques ! A non-moi, désintégration d'égo ! A personne, quoi que ce soit !
"A d'autres !" crie-t-il encore, dans un tue-tête. Mais les deux restent là, tout impotentes et rassasiées qu'elles sont, bientôt obèses mais jamais mortes.
C'est qu'il faudrait partir, et qu'on ne fait jamais que dire au revoir.
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