n-9 - Paysage - mécanique - tourniquet


Il était un tournant à prendre, à négocier. Les chronologues avaient de la latence, les sirènes enfarinées, de l'enclavement dans les ouïes. On eût dit qu'il était. Le cœur sonnait sourd dans son pull à col roulé. Nul kit ne désancrait les mobiles, et le tout-venant pétaradait leurs bonshommes de chemin de bastion en bastion, de créneaux en crédos, d'étendards en écriteaux, de balançoires en panonceaux. Les plumes volaient plus haut que les oiseaux. Les démons n'avaient que de la corne à qui savait attendre, le funambule répétitif que force ni que rage. Ça tournait grave et sonnait lourd, le personnage de tout son poids s'étalant assommé de soi sur un matelas défait de draps et de sommier, annulé. A même le sol, il était. Les octaves descendaient comme des saumons inversés, et comme à l'identique encore le trop-plein d'iode coupait le sens aux mêmes. On eût dit qu'il fallait. Réorganiser la circulation, en découdre, en remontrer, y retourner sans se laisser dire.
Le tournant empoigna les mêmes et le personnage, à même le guidon, à même le cadran à impulsions, et s'enorgueillit d'un grand "zéro" d'où tout, encore devait partir. "Cinq !", fit le premier même par esprit de contradiction. "Huit", hasarda Neuf. "Onze" - "Aucune idée, je passe mon tour" - "Quarante" - "Sept" - "Stop" - "Pomme d'api", fit l'Aucun des Mêmes à Nul Autre Pareil.
Je gratouille quelque chose avec un petit vieux d'ongle trapu, "on ne va pas se laisser faillir par ce qu'on sent, par ce qu'il est senti ou que sais-je encore, il sera toujours temps qu'on nous le prenne et qu'on en fasse des mille et des cents, on ne va pas se laisser passer par la tête comme des rambardes et des accents, cet état de faits a fait son temps, il faut faire levier, produire les déclics, tirer les joints d'étanchéité comme des ceintures de chasteté, libérer les encloses, chèvres et paupières, faire voler les insularités quitte à s'en isoler, se dépêtrer de slogans cloche-pieds et d'autres objets, libérer les encloses, et celles à soi fermées, ouvrir en somme, quitte à se dissoudre dans l'après, éclore en somme, ou s'infirmer !" - s'entonna le prédicateur aux grands gestes plumiers, battements d'ailes désordonnés dans des yeux qui voulaient briller, réverbération qui avait du mal à l'envergure et qui donnait, comme au casiotone, à chaque son la manière d'un dernier souffle. La foule incrédule d'être là s'agitait dans le strabisme, et jaugeait l'intensité des lueurs : "qui pour l'allumer ? C'est à ne rien y voir, on n'en croit pas ses yeux, donnez-lui du silence qu'on se remette à remâcher ! On ne me la fait pas cette petite peau toute caillotée ! De mouvements divers je suis agitée !", cependant même que l'élan, tout à lui-même n'avait de cesse : "Prenez-les larges, oh mes désertes ! Taillez-les grands, dussiez-vous flotter ! Ne les semez qu'à tout vent, jetez vos regards à la dérobée !" - "Est-ce qu'il ne serait pas l'heure ? A-t-il de quoi pour ne rien dire ? Je reconnais bien là", et tous les fragments insondables de ceux qui ne sont pas là à ce qui n'a pas lieu d'être. Le prédicateur s'éventait sans en démordre, la lyrique mécanique enrayée s'en fichait, à se perdre elle s'éperdait : "Des silhouettes engoncées nous ferons doubles de clés ! Entérinez les palombes, avalisons, éparpillons les avalanches, et que tous réunis en un seul soit le même à chacun ! Nous ne nous sèmerons pas, même d'ironie, nous nous aimerons toujours ma petite épiphanie ! Les calendriers seront toujours ouverts à la bonne page ! La vie sera la vie et plus encore la vie sera ! M'entendrons-nous ?" - la foule nulle ne répondait. L'écho silence laissé seul s'écrasait dans la réverbération avortée.
J'ai enfilé mes patines, elles sont splendides, occasionnelles, soldées, et je gratouille toujours, je cliquète, je picore. Le tableau s'étend paisiblement aux prophètes au libre cours, trafiquants souterrains de firmaments, j'irai les voir, les écouter, je ne voudrais pas les louper, j'ai trop manqué, je tiens à confirmer, des places réservées, l'hippodrome est bondé, c'en est à un stade qui fait fureur aux capitales, je vous enjoins d'y assister. Les bulles et les pastilles, les vignettes, les tracts, les feuilles volantes et les étoiles étiquettes à la fluorescence surnaturelle, les promontoires promotionnels de pommes de terre, nécessaires, ineffables, le délire des consommables et leurs péremptions stratifiées, qui jouent à s'échanger, la remballe des amours aux sangs toujours rubescents, au carmin toujours neuf, toujours appétissant, comme une danse aux multiples fanions leurres gigotant, cette fièvre d'embrasser les étalages, le dense érotisme des supermarchés, le rayonnage étincelant, l'érectile inflation, le cache-cache des prix en baisse, la caresse ondoyante des néons, le paysage saturé d'univers maison, le petit électro-ménager, les confiseries, les poissons couchés sur la glace pilée, les beautés désincarnées, les villes où tout crie, où le bruit s'égalise, j'ai enfilé mes patines et je marche ainsi longtemps, je randonne dans les magies incolores, dans les manèges aseptisés comme des mondes-jouets, je m'achète à manger dans l'enchantement climatisé, je ne suis pas d'âme, je ne suis pas à propos, je flotte sur les carrelages en ne faisant partie de rien, je m'achète à manger et je suis les panneaux, la forêt d'abondance m'amuse toujours de détours et de sentiers cachés, puis il n'y a pas de sentiers car tout est défrayé, les buissons ergonomiques, les failles serpentines dressées et les obstacles rabotés, tout y est lumineux, tout y est rangé, tout y est mystérieux et pourtant à portée, je m'achète à manger et je prends mon ticket puis me laisse porter par les rues que je connais. J'y ai tout vécu plusieurs fois de suite. Je me laisse toujours prendre aux tourniquets.
Je gratouille sans gratter, je ne voudrais pas me creuser, j'aurai trop peur d'y voir le vide laissé par les machines à emballer. J'aurais trop peur d'y voir et je vais y retourner. Le paquet fait partie du lot. C'est à saisir, la date est courte. Il y a danger, incertain. Celui-ci est équitable. Je me laisse toujours prendre aux tourniquets. Les usagers interchangeables. L'impersonnel nous souhaite. Je me laisse toujours prendre aux tourniquets. C'est un mode de pensée. J'approvisionne mes révoltes à des rayons changeants, et quand elles tournent je passe aux sous-marques, l'horizon m'apparaît tout clignotant, tout taquin de reflets scintillants, morse abscons, réseau impénétrable d'appels de phares et d'intermittences et de déperditions, tout fugace, tout scintillant, d'apparitions puis de silences, les uns vers les autres et en toutes directions, il croyait être du bon côté de l'horizon, mais pas là pour ce qu'il croyait, c'est lui qui scintillait - "je m'achète à manger et je gratouille aux tourniquets", fit-il dans aucun sens avant d'y retourner.   

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