n-8 - Clairons - soif - bermudas

Il convient donc que sonnent les clairons, là. Un seul s'assemble pour célébrer. Chanter et jouir sont les mots d'ordre. Âprement disputés dans les tourmentes. Tellement fatigué de la comédie de la politesse. Joie sèche des guitares détruites superposant leurs bruyants écueils, écumes brouillonnes et bravaches, indéfinies toutes ruisselantes, amères comme ce tocard d'océan immobiliste qui s'est mis à l'écart des agitations terrestres, et à qui la fonte profite, pour qui sont ces aspics, dépassera-t-on jamais le stade du martèlement sonore de l'insatisfaction et les stupides questions, encore en amont mais jamais guère plus loin, dans un minuscule cercle bosselé de cassis et dos d'âne et d'acné juvénile.

Il convient. Joie sèche à l'affût de moussons et déluges inadvenus, croisés peut-être et trop jeune alors aux regards carrefours qui n'allaient vers nous que par un hasard sans désir, et nous vouaient ces regards qu'à désirer tout le reste du temps, sans foi, que de la soif. Que de la soif tout le temps et plus la moindre foi, et des brasiers de paille sèche comme la toux, des feux de détresse où l'on brûle de ce que l'on peut, où l'on se consume de peu, voyons partir les serpentines étincelles de mille migraines d'images éphémères, et à défaut de rien, tirons de sa soif la substance même d'une joie.

C'est celle-là, on la livre en l'état, c'est l'éloge même du moment préparé. A la soif donner plus de soif encore, devant rien, monter d'autres riens. Elle n'a pas de fin la victoire sans verbe. Elle n'attend plus son moment et se chante dans l'ennui au gré d'idées sans suite. On la prend toujours en cours, dans sa foulée, c'est une promesse jamais tenue à laquelle il nous faut croire pour que la soif nous tienne en vie. C'est un grand spectacle, la resucée d'un vieux succès. "Elle se pose là" - "non je dirais plutôt que cette fois, elle y va" - "vraiment tu as vu ça ? Je croyais, l'autre fois" - "il y a moins d'étoiles il me semble" - "le cœur pulse à l'envers" - "le poète développe ici" - "c'est une meilleure douleur" - "le fracas monstrueux de la sixième mesure" - "les soupirs lactés sont moins flous" - "l'aphrodite ovule" - "j'ai failli m'emporter" - "comme c'est bien fait" - "mais bon dieu qu'est-ce qu'il fait soif ici encore" - "c'est la chaleur, et que rien ne coule ici que nos propres émanations, et que nous sommes toujours les mêmes devant les mêmes à jouer et voir jouer, et que ça transpire parce qu'il n'y a rien à boire, et qu'on se fait dessus comme c'est pour ça qu'on est là, et que cette réverbération dont tu parlais, ce son qui voudrait durer, malade de ne pas durer,  et qui après un court élan cycnéen, qu'on n'a pas le temps de nommer grâce, s'écrase sans se fondre, se trucide grassement (mu en pachyderme syntaxique, surchargé d'incises ingrates et de l'attirail analytique d'un chasseur bredouille, matant sans voir le crépuscule rembobiné dans sa forêt de vacuité), ce son qui se fait dessus, ce sostenuto comme une béquille mitée, tu sais, c'est l'histoire même de notre soif et de la joie contre laquelle nous voulons la troquer. Il convient de se tenir dans la bonne illusion, s'y remuer de doutes en dénis, s'enlunetter changeant de cécités lucides, fourmiller aux paradoxes, jouer enfin, car, enfin, sinon, sans ça..."

Les emballements du carnaval sont la scorie des fois défaites, et ces haines amères, et ces creux dans l'âme, et cette colère évasive et veule qui gueule en sourdine et ne dit pas bonjour, mais plutôt merde s'il vous plaît, et se célèbre en clandé, et dissone, toute mal foutue de honte incomplète et d'orgueil de mauvais perdant, ce désir impuissant qui ne se fait plus envie à lui-même, et boîte et titube et se racle la gorge, comme ça cette soif encore enfin, toute mal atiffée, toute à trébucher, la soif qui marche de travers, cette soif de soif est la scorie encore de cette scorie même. Et c'est cela qu'il convient de claironner, avec les instruments qu'on trouve - et le souffle qu'il reste - ceux qui, cassés et déclassés, se tapent sur eux-mêmes comme ces idiophones de claves, percussion binaire de chasse à l'envie de vivre et d'exister. C'est ce qu'il convient de chanter, la partition froissée. Car sinon, enfin, car sinon, enfin, sans ça... On ne peut pas passer son temps à toiser des cieux secs sans rien à prier dedans.

Ce clairon erroné qui fait mal à la gorge assoiffée va vous chanter l'histoire de la troisième scorie. "Après dieu, après l'amour et l'art, je crois qu'il reste le bricolage obscur. Je crois pas qu'il faille essayer de faire bien, je crois qu'il faut juste faire tenir, par bandages, passe-plats, enduits, soudures et sparadraps, faire tenir ce qui nous tient. Et que ce ne soit que les murs de chez soi, et qu'on vive dans son style, et qu'on trace des marelles à la craie, et que tantôt un hôte puisse s'amuser à y perdre pieds. Que ce soit ouvert et compliqué d'y entrer, de serrures mal façonnées, une maison faite maison à l'isolation défectueuse et à la bienvenue houleuse. Et au fronton, arrogant : ne pas faillir à ce qu'on sent. Un bricolage où se jouer de soi, c'est tout ce que je vois. Et les voisins de palier d'un labyrinthe conçu par un architecte en un état d'ébriété qu'il appelait espoir." - "une maison pavée d'intentions." - "Un pavé seul, même, où faire claquer ses talons. Les murs sont en construction. Et pour tout le reste, je ne sais pas. Et même pour ça, je ne sais pas. Et c'est aussi bien une rivière ou une automobile, ou la fleur éculée s'acoquinant de détritus, ou le bus d'inepties chahutant le champignon de son chauffeur mort, ou toute palabre équivalente à qui tenir la main en traversant la route, tandis que le bonhomme vert comme une fée matinale tout empapillotée de rosée souffle sa douce brume de compassion et de gaieté. C'est là ce dont il faut convenir, quelles que soient nos prérogatives."

Le clairon erroné n'a rien de requis pour chanter, rien de ce qu'on lui a dit qu'il fallait amener, il aime à se perdre dans des phrases insubordonnées et n'appelle pas à l'indulgence ni ne tolère le mépris. Il se fait le chant même des scories de scories et de la cacophonie des chants dissemblants inouïs qui grouillaient dans les gorges nouées des mondes dépareillés, et l'entende qui peut tant qu'il lui reste assez d'ouïe pour s'entendre lui-même, sans avoir pu jamais se comprendre, sans s'être jamais vu d'ensemble, sans s'être jamais éclairé qu'à des moments coupés, à des lueurs mourantes de chandelles aux écoulements sinueux, cierges non plus votifs, bouts de phrases musicales toutes d'instant incertain, et encore d'un autre, et qu'il meure en silence pour à nouveau ressurgir en bruit, et qu'il meure dans les bruits pour se révéler silence - je crois que c'est, à cette heure, ce qu'il convient de chanter.

"Et ce regard trivial, est-il mort alors ? Et ces siècles d'empereurs en bermudas ? Et ces merveilleuses moussons de regards fiers canons colères ? Et le bruit comme le sang dégouttant du crash de guitares en plein vol à l'abattoir ? Et la dispersion des armadas ?" - "Nous reprendrons."

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