n-7 - Courant - trottoirs - contraires

Le même ne rasait plus les murs mais s'enfonçait dans les trottoirs, de vrais trottoirs pourtant, éprouvés, horizontaux, bitumes à la surface desquels l'air avait oublié pour de bon s'il avait jamais tremblé. Il creusait les dimensions avec la langue foreuse de la réticence. Il les creusait et s'en faisait des tas de diverses hauteurs, sur lesquels allaient buter d'autres que lui qui sondaient d'autres dimensions. Sondées et demeurant impénétrables, ou insondées parce qu'elles n'existaient pas, ou n'existant que parce qu'un autre comme lui se mettait un jour à la sonder, la sondant la faisant exister, les dimensions concubinaient ainsi à longueur de trottoirs, et procréaient des dimensions variables, et c'était un tel désordre dimensionnel que les mathématiciens dépassés réprouvaient à chaque dimension d'autres hypothèses, et tout étant retourné, les trottoirs faisant murs et les murs plafonnant gaiement, se cui-cuitant de ciel en joie logique, il se retournait lui-même comme un gant avec sa langue foreuse de réticence et se retrouvait comme ça, à creuser les trottoirs et s'enfoncer dans les murs et à s'accroupir en-dedans pour poser les lustres aux accotements, enfin il se retrouvait finalement à marcher normalement comme de tous temps, traînant à peine peut-être des savates, mais sinon, guère différent. Terne comme le temps, et sec à l'avenant.

Le chaos ensemble et le guerroiement de multiples hallucinations, le conflit brouillon des dimensions jamais d'accord entre elles ni d'elles-mêmes ainsi finissaient par former la réalité toute terne, toute aplatie à zéro dimension, ou si peu, et des poussières, des passions égalisées, des furies dévastatrices jetées contre des fureurs réparatrices, des joies meurtrières et des peines accouchantes, des contraires gênés dans leurs oppositions par de tout autres contraires eux-aussi s'opposant, et se mettant alors blessés dans leurs êtres de contraires à s'opposer à des contraires dont en réalité ils n'auraient dû avoir rien à faire, dans la mesure où ce n'était pas de ceux-là qu'ils étaient le contraire, les contraires, blessés - on sait ce que peut faire dans la démence du déni l'âme blessée d'un contraire - on sait les ravages de la vengeance d'un contraire contrarié par un rival qui a un jour osé n'avoir rien à voir avec ce contraire-là, et tout à faire avec d'autres contraires qui n'en avaient pas tant demandé et se retrouvent dans l'étau de plus grandes contrariétés qui dépassent leur portée d'humbles contraires à leurs contraires attitrés opposés - oh le déploiement des contraires âprement disputés dans les tourmentes logiques - oh, on sait à quel point prendre à parti un contraire, c'est ouvrir la porte à des épisodes de déchirements sans précédents - des luttes sans merci, des romans ardents qui s'inscrivent dans nos chairs - se mettaient à se compromettre en d'autres contraires qui se reflétaient eux-mêmes à leur aise dans des dimensions exotiques, à contrarier leurs natures de contraires sincères, à se grimer et se singer les uns les autres pour ne former à la fin qu'un pêle-mêle de contraires, moins lucide et moins clair qu'avant de se mettre à tournoyer ainsi en un ensemble de cercles au centre indébrouillable, et d'ailleurs déjà plus singulier, heurtant leurs arêtes dans sa tête sur un terne trottoir où ne pas faire 10 mètres sans que rien n'arrive encore - où ne plus parler pour toujours ne rien dire, où l'air, blasé, drapé de couches contraires et de dimensions démissionnaires, ne risquait guère de se souvenir d'avoir jamais tremblé, non, pas même 10 mètres avant que rien n'arrive.

Tout s'oppose, tout s'annule, tout s'inverse, et cela dépend déjà de quel tout qui parlait, alors il faut tout reprendre à nouveau pour tout oublier, et marcher inéluctablement droit dans quelque chose de terne qu'on ne voulait pas. Droit parce qu'il n'y a pas de travers qui ne soit droit d'aucun. Droit parce qu'à frôler les parois on est assez sûrs de rien pour ne plus se laisser traverser par aucun courant. Droit, vieux, fixé à force d'avoir mixé déploiements et replis, annulé même à force la force de l'annulation des contraires - quelconque enfin, comme personne, peut-être avec tous enfin, comme personne. Ce qui revient à dire que de ce même personne il n'y avait rien à lire, mais ce qui revient toujours pourtant à le dire - ce rien qu'il n'y avait à lire. Voyez, il n'y a rien à circuler, et pas 10 mètres sans qu'on se moque de qui.

Ce qui revient au même, qui marchait normalement plein d'amour terne et de désamour terne, et de vieux couples de contraires velléitaires se chamaillant en grand-guignol sanguinolent, mais dont le sang ne montait plus à la tête, dont l'ivresse était défaite, tandis qu'au loin sévissaient les fictions de sociétés. Les sociétés se mêlaient de tailles de sexes et de néants conditionnés. Il aurait aimé les entendre mais il était tout à marcher dans la forêt terne de contraires imparlables, irrencontrés, toujours à ne pas faire 10 mètres sans sa langue foreuse à réticence qui n'embrassait rien. Les sociétés brocardaient pugnaces et échangeaient des mouvements de pensée, elles avaient des rapports purs, entretenaient des relations avec des systèmes mouillés de transes. Elles donnaient des odeurs aux noms et des noms aux odeurs. Elles avaient des métiers et le corps de leur métier, ce corps avait du sang dedans, ce sang parfois coulait, tout était vivant à leurs côtés, et leurs côtés bougeaient avec délicatesse, sensibilité, onctuosité botanique, fjords et vallées gracieuses, luxuriance verdoyante dansant sexuellement au gré des vents brassés. Les sociétés découpaient leur parole et n'étaient jamais seules. Il fallait les frôler, jamais y toucher de trop près. Les sociétés restaient vierges en se donnant à tous et n'appartenant à personne. On ne rentrait pas dans l'intimité des sociétés car il fallait n'être pas soi pour y entrer. Cette intimité était le soupçon qu'avait créé sa promesse non formulée. Qui s'était piqué, frappé de vouloir y entrer, dans l'intimité des sociétés : condamné à pas 10 mètres sur un trottoir, terne à jamais dans des constructions dérisoires qui se jetaient la pierre avant de l'avoir posée. Au mieux pouvait-on, le même, espérer quelque formule souriante de ternitude appliquée, intégrée - quand les sociétés débattaient, s'emballaient, signaient, se serraient dans les coins pour toucher leur bouche et faire l'amour sans le faire exprès, dérapaient juteusement avec un cœur gros comme la main dans des visages certains, se faisaient monstre divers et tournicotaient, toutes en séductions et équivoques, incarnées, flamboyantes, fulgurantes sociétés aux seuils desquels l'atterni entêté ne pouvait plus même sonner, ou toujours sans succès, comme quand le bruit des délires couvre les sonneries de qui enfermé dehors, chaque fois qu'il sonne se tire une balle dans le pied - et pas 10 coups sonnés sur le trottoir du terne éternisé, qu'un seul soit entendu, et, quoi, quand bien même, c'est fait ; les sociétés sont impossibles et on ne peut les pénétrer, et quand on est dedans on ne le sait pas, on s'imagine marcher pas 10 mètres sur le même trottoir et on envie des sociétés au seuil desquelles on sonne sans succès parce que quand on est dedans on ne le sait pas, et que c'est à soi qu'on vient sonner et qu'il n'y a personne de l'autre côté, à moins d'y passer, de l'autre côté, alors on ne s'entendra plus sonner parce qu'il n'y a plus soi de l'autre côté. Les sociétés naissent du rêve qu'on fait de ne pas s'y retrouver. Nous sommes les sociétés, au terne partagé, condamnées à pas 10 mètres sans rien faire pour y penser, et après ? Le trottoir s'est-il enfoncé ? Avons nous, où que ce soit, marché ? Quelle dimension narquoise s'est émis le regret proche de ne pas se voir exister ? S'est-il renversé, tout, et qui de quoi parlait ? Le terne et les sociétés, puis les sociétés qui ne veulent pas du terne parce qu'elles sont le terne-même, puis le terne schizophrène qui s'amuse à demeurer sur le seuil de chez lui à sonner sans que personne ne réponde parce qu'il n'y a que lui qui s'y puisse habiter, et à ce même terne chez-lui qui chez lui-même sonne, répondre enfin, refléter. Refléter le terne et s'en faire l'écran, changeant. Miroiter le grand roman de la trahison des contraires. Faillir pour rire à tout ce que l'on ne sent pas. Déterrer dans l'amas de terne entériné, les perles de dimensions qui n'existaient pas, et les offrir en collier à des belles de sociétés qui ne veulent pas de soi. Jouer. Courir le grand roman avec un petit souffle heurté, et lui courir après. Creuser le trottoir, presque décidément enfin : en pas 10 mètres il sera toujours temps de respirer.

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