Le
chaos ensemble et le guerroiement de multiples hallucinations, le
conflit brouillon des dimensions jamais d'accord entre elles ni
d'elles-mêmes ainsi finissaient par former la réalité toute terne, toute
aplatie à zéro dimension, ou si peu, et des poussières, des passions
égalisées, des furies dévastatrices jetées contre des fureurs
réparatrices, des joies meurtrières et des peines accouchantes, des
contraires gênés dans leurs oppositions par de tout autres contraires
eux-aussi s'opposant, et se mettant alors blessés dans leurs êtres de
contraires à s'opposer à des contraires dont en réalité ils n'auraient
dû avoir rien à faire, dans la mesure où ce n'était pas de ceux-là
qu'ils étaient le contraire, les contraires, blessés - on sait ce que
peut faire dans la démence du déni l'âme blessée d'un contraire - on
sait les ravages de la vengeance d'un contraire contrarié par un rival
qui a un jour osé n'avoir rien à voir avec ce contraire-là, et tout à
faire avec d'autres contraires qui n'en avaient pas tant demandé et se
retrouvent dans l'étau de plus grandes contrariétés qui dépassent leur
portée d'humbles contraires à leurs contraires attitrés opposés - oh le
déploiement des contraires âprement disputés dans les tourmentes
logiques - oh, on sait à quel point prendre à parti un contraire, c'est
ouvrir la porte à des épisodes de déchirements sans précédents - des
luttes sans merci, des romans ardents qui s'inscrivent dans nos chairs -
se mettaient à se compromettre en d'autres contraires qui se
reflétaient eux-mêmes à leur aise dans des dimensions exotiques, à
contrarier leurs natures de contraires sincères, à se grimer et se
singer les uns les autres pour ne former à la fin qu'un pêle-mêle de
contraires, moins lucide et moins clair qu'avant de se mettre à
tournoyer ainsi en un ensemble de cercles au centre indébrouillable, et
d'ailleurs déjà plus singulier, heurtant leurs arêtes dans sa tête sur
un terne trottoir où ne pas faire 10 mètres sans que rien n'arrive
encore - où ne plus parler pour toujours ne rien dire, où l'air, blasé,
drapé de couches contraires et de dimensions démissionnaires, ne
risquait guère de se souvenir d'avoir jamais tremblé, non, pas même 10
mètres avant que rien n'arrive.
Tout s'oppose, tout
s'annule, tout s'inverse, et cela dépend déjà de quel tout qui parlait,
alors il faut tout reprendre à nouveau pour tout oublier, et marcher
inéluctablement droit dans quelque chose de terne qu'on ne voulait pas.
Droit parce qu'il n'y a pas de travers qui ne soit droit d'aucun. Droit
parce qu'à frôler les parois on est assez sûrs de rien pour ne plus se
laisser traverser par aucun courant. Droit, vieux, fixé à force d'avoir
mixé déploiements et replis, annulé même à force la force de
l'annulation des contraires - quelconque enfin, comme personne,
peut-être avec tous enfin, comme personne. Ce qui revient à dire que de
ce même personne il n'y avait rien à lire, mais ce qui revient toujours
pourtant à le dire - ce rien qu'il n'y avait à lire. Voyez, il n'y a
rien à circuler, et pas 10 mètres sans qu'on se moque de qui.
Ce
qui revient au même, qui marchait normalement plein d'amour terne et de
désamour terne, et de vieux couples de contraires velléitaires se
chamaillant en grand-guignol sanguinolent, mais dont le sang ne montait
plus à la tête, dont l'ivresse était défaite, tandis qu'au loin
sévissaient les fictions de sociétés. Les sociétés se mêlaient de
tailles de sexes et de néants conditionnés. Il aurait aimé les entendre
mais il était tout à marcher dans la forêt terne de contraires
imparlables, irrencontrés, toujours à ne pas faire 10 mètres sans sa
langue foreuse à réticence qui n'embrassait rien. Les sociétés
brocardaient pugnaces et échangeaient des mouvements de pensée, elles
avaient des rapports purs, entretenaient des relations avec des systèmes
mouillés de transes. Elles donnaient des odeurs aux noms et des noms
aux odeurs. Elles avaient des métiers et le corps de leur métier, ce
corps avait du sang dedans, ce sang parfois coulait, tout était vivant à
leurs côtés, et leurs côtés bougeaient avec délicatesse, sensibilité,
onctuosité botanique, fjords et vallées gracieuses, luxuriance
verdoyante dansant sexuellement au gré des vents brassés. Les sociétés
découpaient leur parole et n'étaient jamais seules. Il fallait les
frôler, jamais y toucher de trop près. Les sociétés restaient vierges en
se donnant à tous et n'appartenant à personne. On ne rentrait pas dans
l'intimité des sociétés car il fallait n'être pas soi pour y entrer.
Cette intimité était le soupçon qu'avait créé sa promesse non formulée.
Qui s'était piqué, frappé de vouloir y entrer, dans l'intimité des
sociétés : condamné à pas 10 mètres sur un trottoir, terne à jamais dans
des constructions dérisoires qui se jetaient la pierre avant de l'avoir
posée. Au mieux pouvait-on, le même, espérer quelque formule souriante
de ternitude appliquée, intégrée - quand les sociétés débattaient,
s'emballaient, signaient, se serraient dans les coins pour toucher leur
bouche et faire l'amour sans le faire exprès, dérapaient juteusement
avec un cœur gros comme la main dans des visages certains, se faisaient
monstre divers et tournicotaient, toutes en séductions et équivoques,
incarnées, flamboyantes, fulgurantes sociétés aux seuils desquels
l'atterni entêté ne pouvait plus même sonner, ou toujours sans succès,
comme quand le bruit des délires couvre les sonneries de qui enfermé
dehors, chaque fois qu'il sonne se tire une balle dans le pied - et pas
10 coups sonnés sur le trottoir du terne éternisé, qu'un seul soit
entendu, et, quoi, quand bien même, c'est fait ; les sociétés sont
impossibles et on ne peut les pénétrer, et quand on est dedans on ne le
sait pas, on s'imagine marcher pas 10 mètres sur le même trottoir et on
envie des sociétés au seuil desquelles on sonne sans succès parce que
quand on est dedans on ne le sait pas, et que c'est à soi qu'on vient
sonner et qu'il n'y a personne de l'autre côté, à moins d'y passer, de
l'autre côté, alors on ne s'entendra plus sonner parce qu'il n'y a plus
soi de l'autre côté. Les sociétés naissent du rêve qu'on fait de ne pas
s'y retrouver. Nous sommes les sociétés, au terne partagé, condamnées à
pas 10 mètres sans rien faire pour y penser, et après ? Le trottoir
s'est-il enfoncé ? Avons nous, où que ce soit, marché ? Quelle dimension
narquoise s'est émis le regret proche de ne pas se voir exister ?
S'est-il renversé, tout, et qui de quoi parlait ? Le terne et les
sociétés, puis les sociétés qui ne veulent pas du terne parce qu'elles
sont le terne-même, puis le terne schizophrène qui s'amuse à demeurer
sur le seuil de chez lui à sonner sans que personne ne réponde parce
qu'il n'y a que lui qui s'y puisse habiter, et à ce même terne chez-lui
qui chez lui-même sonne, répondre enfin, refléter. Refléter le terne et
s'en faire l'écran, changeant. Miroiter le grand roman de la trahison
des contraires. Faillir pour rire à tout ce que l'on ne sent pas.
Déterrer dans l'amas de terne entériné, les perles de dimensions qui
n'existaient pas, et les offrir en collier à des belles de sociétés qui
ne veulent pas de soi. Jouer. Courir le grand roman avec un petit
souffle heurté, et lui courir après. Creuser le trottoir, presque
décidément enfin : en pas 10 mètres il sera toujours temps de respirer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire