3 - Histoire du temps perdu en route

Un beau jour, le troisième type le plus content de lui du monde était bien content de lui.

"Tiens, je vais aller à la boulangerie", s'entretint-il : "j'aime manger du pain et faire plaisir à mon corps, car j'aime aussi mon corps qui est presque aussi sympa que moi. En phase avec lui, mon corps, comme avec le reste de la communauté, le reste des corps, le reste des mois d'autrui, je vais, bien, et nous allons et venons, tous bien dans l'ensemble, tous un tant soit peu en phase, enfin - et je trouve ça bien, dans le fond. Oui. J'en suis bien content. Surtout pour moi qui suis en phase avec tout ça, cela dit sans narcissisme - encore que j'y aurais droit, dans la mesure où je parle tout seul."

De l'endroit où il se trouvait, qui était grosso modo son propre domicile, il se dirigea vers plein d'extérieurs à la fois, à l'aide d'une porte un peu mitoyenne et qui était la sienne, en quelque sorte.

Il y avait du monde, un monde fou, qui faisait la queue et plus encore : "Pardon mais j'étais devant, je n'en ferais rien, vous êtes enceinte, je crois que c'est à vous."

Il prit le parti d'attendre patiemment son tour.

"Je serais bien content que ce soit mon tour à moi, mais voyez-vous je suis pressé, écoutez je suis enceinte, comment ça vous n'avez plus de pain, vous pourriez m'indiquer la rue machin", continuait la queue d'un monde fou.

On l'appelait joliment la clientèle, elle était là surtout les samedis quand il y avait du monde. Elle eut ses eaux dans la boutique, un conflit d'égos entre le premier et le deuxième types les plus contents d'eux du monde, cette idée-là en tout cas, entre autres, des problèmes de synchronisation et de sous-titrages, un manque de cadre, de folles aspirations, une trame un peu lâche, une indifférence profonde et la Sainte-Thérèse d'Avilla, elle eut, la foule, le coup du rebond noir et la politique de l'autruche, l'opiacé, sa cote en bourse et le nénuphar géant, et tout ce qui se passait dans le monde la traversait, sans qu'elle sache jamais ; parce qu'elle était, la queue, tout ce qui se passait dans le monde et le monde même où tout se passait.

Comme son tour ne venait pas, le troisième type le plus content de lui du monde décida de rentrer chez lui.

"Je ne comprends rien à tout ça", se dit-il, suivi d'un tas d'autres choses. Puis d'un autre tas d'autres choses, et des ainsis de suite, en veux-tu en voilà. Une certaine facette du temps s'écoula, discrète, opiniâtre. Jusqu'à ce que le type en vint à conclure : "Mais je suis bien content quand même."

Le temps reprit alors une autre forme de course dans un autre circuit - ce dont il n'était lui-même pas trop mécontent parce qu'il avait l'impression de s'être un peu perdu en route dans celle-ci.

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