Un jour bonnard, quintessentiel, proche du tip-top extrême en zone tempérée, le type le plus sympa du monde, le premier, jouasse à l'avenant, se disait un truc : "Hé, ce serait fun d'être le deuxième type le plus sympa du monde - genre, je ne serais plus sous les feux de la rampe et je pourrais continuer, pépère, à mener mes affaires affables sans avoir à me justifier d'être plus sympa que tout le monde."
A
ce moment là, loin, très loin de notre bonne petite ville, survint un
accident tragique au troisième type le plus sympa du monde : tandis que,
de manière très anodine, il se dirigeait vers la boulangerie de son
quartier, il se fit écraser par une voiture. Il passait donc de l'état
de vivant et sympa à l'état de mort, mais toujours sympa quand même.
Comme il arrive parfois, les gens qui le détestaient se mirent à lui
trouver un quelque chose, et il serait devenu instantanément le deuxième
type le plus sympa du monde, si une autre circonstance n'avait pas
accéléré son ascension posthume : il se trouve que le chauffeur de la
voiture qui l'avait écrasé était le deuxième type le plus sympa du
monde.
Oh tragique accident ! Ce deuxième type le plus
sympa du monde n'avait de plus rien à faire là : comme il l'expliqua aux
forces de l'ordre, il avait pris le volant suite au constat d'une
fermeture impromptue du dépôt de pain de son quartier. Fou de rage, il
avait parcouru des kilomètres à la recherche de pain, et c'est au terme
d'une quête ardue qu'il avait perdu le contrôle de son véhicule et
ainsi, tué un des bonshommes les plus sympa de ce monde régulièrement
cruel. Cet homicide rendait le chauffeur tout de suite moins sympa, et
le faisait passer au niveau 3.
Notre type, qui était le premier au début de cette histoire, passa donc par la force des choses au niveau 2 dans le côté sympa.
Ce
jour, cet authentique deuxième type le plus sympa du monde, qui se
croyait encore le premier, se disait donc un truc comme : "hé, ce serait
fun d'être", précisément, ce qu'il était déjà. Il voulait se
transformer en autre chose que ce qu'il avait déjà cessé d'être. Je vous
propose ici une digression philosophique intéressante.
Cela étant fait, revenons donc au deuxième type le plus sympa du monde, notre type. "J'ai faim", se disait-il. Il avait faim.
Il
y avait une porte qui lui tendait les bras. A peine poussée, et c'était
dehors, déjà. Depuis chez soi jusqu'aux communs. La cour commune, le
couloir commun, une porte encore, et là, la rue. Cette rue. Ce bref bout
de rue jusqu'à, par exemple, une boulangerie. La boulangerie. Quelqu'un
demande du pain. C'est lui. Notre personnage. A la personne derrière le
comptoir. C'est une boulangère. Elle fait du pain. Elle le vend. Par
exemple.
"Bonjour !" - "Ouah, salut hi hi !" - elle le
connaît, elle sait qu'il est super sympa. Sait-elle qu'il n'est déjà que
deuxième type le plus sympa, ou n'en a-t-elle cure ? Le trouve-t-elle
juste sympa, sans pour autant le classer dans une hiérarchie de
bonshommes sympa ?
La boulangère en question ne croit pas
en la hiérarchie. Du moins, pas aujourd'hui. Surtout pas : depuis qu'une
obscure boulangère, à quelques rues de là, a été sacrée meilleure
boulangère de la ville, elle se sent comme hérissée dès qu'elle entend
un superlatif. Elle ne croit pas aux superlatifs. Elle fait ce qu'elle
peut et qu'on la laisse travailler, et qu'on lui foute la paix, c'est ce
qu'elle pense en son for intérieur. On a vu plus sympa, comme
boulangère, mais c'est comme ça.
Il convient donc
d'entendre dans son "ouah, salut hi hi !" une pointe de sarcasme. Mais
notre type est trop sympa pour être parano, puis il se fiche des
hiérarchies de boulangères, il ne décèle donc pas cette pointe, et
continue à sympathiser : "hé hé ! ça gaze ? Dis, tu as une baguette pour
moi ? Ce serait cool !
- Tu m'étonnes. Tiens, mec.", et elle la lui transmet manuellement.
Là,
il trouve qu'elle abuse un peu dans le côté familier. Comme il est
sympa, il cherche une blague pour, voilà, juste le faire sentir, quoi,
mais que ça ne sonne pas comme un reproche, enfin, voilà, il a pas de
leçons à donner hein, mais c'est juste, là c'était un peu abusé, donc,
une blague pour désamorcer quoi.
"Z'êtes bien bonne mademoiselle, bonne comme du bon pain hé hé !
-
C'est vrai, je suis bonne ? Non mais, sérieux, comme boulangère, je
suis bonne ?" - et là, rupture de ton, pas un sourire, le type sent
vraiment que c'est sérieux comme question, et que sa réponse a de
l'importance, et que les choses sont graves, et que n'importe quel petit
mot, n'importe quel petit geste, peut avoir des conséquences
catastrophiques.
L'instant pèse une centaine de tonnes à vue de nez. Alors, il cherche à se défiler :
"Heu,
oui, c'est du super pain, moi je trouve ça très bien, vraiment, hein !
Mais tu sais je n'y connais rien, j'en mange très peu ! Je ne suis pas
dans le pain, le pain c'est juste quelque chose qui m'arrive, j'aime
bien mais tu sais ce n'est pas mon truc, je ne suis personne pour te
juger en tant que boulangère, moi je suis plus, comment dire, je suis
plus épinards comme tempérament, tu comprends ? Je peux dire : ça c'est
des bons épinards, ça c'est des mauvais épinards, ou, ça ne vaut pas des
courgettes, ou ça n'a rien à voir avec des légumes verts, mais le pain,
franchement, je n'en sais rien.
- C'est ça, défile-toi. Moi qui te croyais sympa... La maison ne fait plus crédit."
La boulangère lui reprend sa baguette et le type rentre chez lui.
"Ptain alors, quelle aventure ! C'est dingue quand même. Je me demande s'il n'y aurait pas une leçon à en tirer, tiens."
C'est possible.
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