n-4 - Table - éboulis - notice



Le visage semé d'embûches, de signaux, de piqûres de rappel, des falaises et leurs aspérités, toute une beauté qui déchiquète et nous passe dessus en mouvement d'exil intouchable, aérien. Elle garde la plénitude et ce n'est pas jouer. Elle passe au massicot le délire inadvenu. L'éboulis infondé du style, on le nomme murs et l'on en cherche à tâtons les commodités. C'est de la poussière remuée, notre air, et l'envers muet de l'émotion fait de soi la mouche erratique du fumet des gravats. Vingt. Entre trois et neuf. Une demie. Douzaine. D'heures. Perdues. Racontées et revécues, inventées et relues, tournées, montées comme des murs de rien autour d'un désir vibrant qui s'accroche à la pure laine douillette des cajoleries, et plutôt moutonner que d'avoir froid comme ça, quand on est un désir tout cru avide de se vider soi-même et de s'éjaculer dans l'évier biblique et céramique.

La poignée solide dans les ongles sales, l'architecte désigne et détermine. "Je couperai par là" - "Le canal lacrymal écoule les tristes séductions impossibles dans un circuit hermétique autonome, afin d'éviter la rupture de la chaîne du froid et la contamination du vivant par l'imaginaire. C'est une des règles essentielles de l'hygiène de la restauration. Denrées et déchets, éviter toute contamination croisée en respectant la marche en avant. Le trou dans le mur que vous voyez là, où parlementent nos deux ouvriers permettra de faire passer le tuyau quatre. Cent vingt-neuf. Qui s'attache. A résorber. Dans le circuit dédié. D'un point de vue économique. Il n'est pas exclu. La tourbillonnante stridence apocalyptique du cœur rongé dans sa sauvagerie écumante de solitude et de frustration aura pour siège les locaux attenants à la cave. Les collisions n'auront pas lieu, les épiphénomènes du voisinage, de l'amour et de la dialectique, sans parler des grands écarts de sagesses trop lointaines, de cheminements sans issue, de déploiements en spirales et que sais-je encore, seront pour ainsi dire énucléés et réduits aux phonèmes émotifs consignés dans la notice ci-jointe."

Petite main courante, tremblante de l'architecte quand passe un fantôme voilé, à bicyclette on dirait que c'est la roue qui l'est, et sur le guidon la main défaille, et il s'en faut de peu que pas grand chose n'arrive, des chutes à peine mortelles, buter sur un éboulis, oh bâtiment d'échec perméable à la pluie, oh grandioses constructions fières aux genoux qui tremblotent, oh fronts dressés au turbulent épi phallique et gigotant, contant fleurette à tous les vents, oh vaines et belles architectures de poussières, oh pas grand chose.
"Ce qu'il faut, c'est que le chantier perdure et que nous soyons nombreux à y donner des âmes. Nous sommes en pourparlers avec le temps. Le foyer-noeud que nous matérialisons ici par une bande de scotch, sera le centre épineux, la colonne dorsale. Les gens danseront et seront heureux. On me dira : "eh, comment tu vas, toi ?". Je répondrai : "On ne peut mieux !", avec un petit air narquois. Un de mes ennemis tentera de m'étrangler à ce moment-là. J'appelerai l'ascenseur, et voyez-vous, ce bouton me permettra de faire en sorte que. Tout cela ne vaut pas que pour moi, bien sûr. Il était important de hiérarchiser et de rendre efficient le potentiel de communicabilité de tous. C'est précisément le but assigné."

Miroirs, main courante, rampes, discours, lacunes, réticences, glissements de sens et de terrains, encéphalite d'ennui. Elle le regarde avec cet air inadmissible. Il se sent tellement, il se méprise. Ils ne demandent qu'à croire et pour ce faire se lancent tous un seul regard vertigineux d'incompréhension. Transparent. Absent.

"L'appel du vide. Précisément, nous y avons pensé. C'est précisément ce à quoi nous avons pensé. L'appel du vide, précisément. C'est pourquoi nous avons doté ce bâtiment de pilotis tournants sur roulements à billes avec une technique inspirée du parquet flottant sur échasses des aztèques. De charmantes parques à cette heure nouent les canevas de nos cartes perforées. Je vois que vous n'en croyez pas un mot et que vous voyez là, une sorte de trait d'humour vaseux. Précisément. C'est ce sur quoi nous avons travaillé. Éluder. L'élision. Vous comprenez, la figure de l'élision, combler l'appel du vide en tournant sur soi-même, on se retrouve toujours droit comme il faut. La suppression de la gravité n'est qu'un détail, à l'heure où nous voyageons presque sur la lune. Et précisément, nous y avons pensé, à ce fol futurisme des machines pas faites. Je vous renvoie au théorème de l'incomplétude et à la démocratisation des sucres lents. De ce point de vue, ce bâtiment est une fusée, et son immobilité n'est qu'un décollage permanent pour ici-même et d'ici-même. Rien ne semble bouger mais tout se précipite sans cesse à l'endroit-même où c'est déjà. Je vous vends cette idée, justifiée et non négociable. Ce bâtiment est une fusée, une poussière, un être humain qu'on ne connaît pas, je voudrais tellement te prendre dans mes bras, et donc là nous mettrons un étage, il ne manque que l'escalier à bétonner. Je crois en ce projet, n'est-ce pas. Vous croyez tous, nous croyons en ce projet, je voudrais tellement, regarde-moi, petite envie, petite fugue à toi-même qui te joue en miroirs, et t'ancre et t'égare et te déploie toujours hors de prise, hors de toute main-mise, toujours là pourtant partout comme ça." - "Vous n'êtes pas si beau parleur que ça, et vous ne m'avez toujours rien dit depuis tout à l'heure." - "J'entends bien, précisément, nous avons évoqué ce problème. C'est en construction. Je vous demande de patienter. Précisément. Onze. Quatre-cent. Vingt-sept. Une prunelle. Un noyau. De cerise. Je vous demande de l'indulgence. Je tolère votre mépris. Je partage votre ignorance de tout ce que je suis. Je partage la distraction du monde en ce qui concerne mon éventuelle présence et mes efforts pour la manifester. J'aspire à l'effacement, au plus haut degré de la discrétion. Je ne suis même pas là pour dire ça. Je vous fournirai la gomme de mes caresses au crayon à papier. J'entends bien. Précisément. Nous y avons pensé. Il est toujours possible de reprendre l'errance là où elle n'a pas commencé."

C'est là que la table s'est renversée. "Une colère idiote", a déclaré. C'était statique, ancré, ça fumait sans consumer, ça faisait tout du bout des lèvres sans jamais rien embrasser, des folklores aux bras croisés, disséminés rectilignes et réguliers dans le rectangle de la boîte, attendaient - bientôt tout viendrait à l'heure de renoncer, fadaise invertébrée, rendue malléable, on ne savait pas naître on pouvait bien lâcher prise alors, les folklores attendaient qu'on se dégrise, que s'évacuent les tourbillons mous de poussière intraçable, que le sans fil s'éteigne et vienne enfin rejoindre les bras acérés de la machine à tout le monde, du broyeur à lots communs, des barres et des tranches circonspectes au mètre carré, des évasions compassées, encerclées, le chien autour de l'arbre à la corde enchaîné, les folklores attendaient, vêtus de leurs atours loués, les folklores défaits sans phares à tourner, les étuves, les oubliettes, les celliers, attendaient. C'est là que la table s'est renversée, les verres avec dessus, la réception annulée, l'assemblée effarée. "Une colère idiote, ça n'a rien donné". Et ce regard inadmissible qui ne passait pas, où rien ne voulait passer, ce regard clos écarquillé, ce système fermé où ne circulaient qu'en goutte-à-goutte, larmes de cire, engloutissements de la chaussée, s'est incroyablement d'un coup fendu d'une embrasure brûlante, peut-être toujours là au fond, irremarquée, s'est à demi entrouverte en un jour d'un infime courant d'air enfin - s'est fait soupir, fissure et brèche inespérée, comme elle disait : "Je viens avec toi, malgré ça. On verra."

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