n-12 - Rythme - lampe - lit

Linéaires sont les rizières, et brisé mon dos. C'est un proverbe ancien au fonctionnement âpre et mystérieux. C'est littéralement une boîte à rythmes. Renvois, accents, ridicules et superbes s'y transmettent en circuits. Ouverte, ce sont de gros bonshommes en pulls à rayures qu'on nomme résistances parce qu'elles éprouvent les temps. Ce monde grésille et tire parti d'erreurs. Ses trajets sont des accidents. Dans les lisières brisées et métalliques, les sons rudimentaires renouent des danses pour le thé. La piste se languit d'embrassades aux cols roulés, de noirceurs consommées, des tissus et syllabes accolés, et des premières boums d'amour moites, et des galvanisants dérapages espérés, des danses faites et défaites en un jeu d'alliances et de défi qui se déconfit toujours en citrouille d'expectations à des minuits variables, c'est d'en-dessous qu'elle se languit la piste, reformuler des phrases peut prendre toute une vie, c'est une mémoire murmurante qui construit, tout n'est qu'appels et résonances, souvenirs de mélodies, et leur oubli sonore, et danser c'est rattraper des chutes répétées, les rattraper de peu, s'y accrocher comme on peut pour les laisser se détacher, et puis reprendre.

Binaire et linéaire petit soufflet sans nom, il se semait des égarements et se renvoyait la balle de loin contre des murs changeants. Arbitraires et aléatoires étaient les rizières ; parallèle, époustouflante la vallée ; et tous les autres, las de soi, enfin. Le mouvement de l'un à l'autre était la chance, même à ne rester qu'un. La dialectique électronique, et les erreurs, et les changements, et les appels et résonances qui sont le corps lui-même de la chanson. Alors, il peut être question.

"Ne pas laisser faillir ce que je sens. Ce que je sens n'est pas ce qu'il reste, mais tout ce qu'il y a jamais eu." Ainsi marchaient Gorge râpeuse et Frémissement flottant. "Se mouvoir, c'est ce que l'on fait de mieux", grognait l'un. "Tu sais que fût un temps, on ne me laissait jamais payer pour rentrer", grondait l'autre. "Elles étaient toutes à mes pieds. J'ai aussi connu des gens célèbres. L'argent n'était pas un problème. J'avais beaucoup de charme. Une personnalité hors du commun. Oui. Tu sais que, fut un temps, j'inventais la nostalgie. En arcades et sur console. J'étais un révolutionnaire, oui. Tout le reste du temps s'est écoulé en réaction. Le temps a découlé, oui. N'est-ce pas. Tu sais que je me les suis toutes faites, elles étaient toutes à mes pieds. J'ai aussi écrit des livres. Tu sais qu'on me proposait de la drogue. Je faisais aussi la circulation dans l'avant-garde. Avec un beau sifflet et une absence bleue d'uniforme. Les enfants étaient chafouins, taquins, mais ils se tenaient tranquilles quand j'étais là. J'avais le papillon, tu sais. Tu sais qu'on me demandait des licences pour certaines émotions un peu pointues que j'étais seul à laisser distiller. Tu sais que dans ma rue on me versait des offrandes. J'ai fait taire les rumeurs, aussi - c'était moi. Et j'ai connu des tas de gens célèbres, oui. Je suis allé un peu partout, même en dehors de mon corps - qui n'était pourtant pas le plus mal fait de la ville. J'ai connu un arracheur de dents. J'ai connu Jésus, qui n'était pas ce qu'on dit - je lui ai fait part de mon scepticisme, j'ai souligné quelques incohérences, il m'a dit qu'il fallait bien vivre et que c'était comme ça, chacun son rôle, il a fait moui moui sans chercher à me démontrer son existence. Je l'ai trouvé très bien, un peu dupe de ses croyances, de ses convictions, mais ça, bon. Tu crois qu'ils nous laisseront rentrer gratuitement ? Je veux dire, ça n'est qu'un bal et j'en ai bien vu d'autres. J'ai été à la Sagrada Famiglia. Barcelone. Une fête ininterrompue. J'ai dormi dehors, avec des musiciens. On était fous. Ils me tannaient pour que je chante. Je répondais que c'était bien assez d'être moi, n'est-ce pas, et d'avoir fait tout ça. Et là on parlait d'autre chose ou on allait chercher des sandwiches. On était fous. Les locaux devaient se demander, des fois. Hein. N'est-ce pas. Les locaux de là-bas. On peut peut-être demander une réduction ?"

Ne pas faillir à ce que je sens. Et si je ne sens rien ? Et s'il n'y avait jamais rien eu ? Vieille lampe à essence, que je manipule maladroitement. Le voisin de palier est mystérieux et me met mal à l'aise. J'ai voulu faire lire à l'amie un texte témoignant de la plénitude de mon sentiment, mais je me suis trompé de cahier et n'ai trouvé que des fragments adolescents griffonnés à la hâte, et dont chaque ligne inclinée est entourée de blancs qui font vertige. Je m'amuse des dates tout aussi fantaisistes. Le bon cahier est sur le lit, bien en évidence, mais il ne sera lu de personne parce qu'au moment où je le retrouve, le voisin vient me parler de pêche. J'essaie de l'interrompre pour lui expliquer que je n'y connais rien, que ça ne m'intéresse pas, que je suis venu témoigner de la plénitude de mon sentiment. Je finis par le renvoyer chez lui. Un stock de cadeaux technologiques non emballés, ou aux emballages défaits, sous une vitrine rectangulaire comme dans les musées. Elle prend quasi autant de place que mon lit et se dresse à côté. Je ne suis peut-être pas là pour ce que je crois. C'est peut-être noël et il ne s'agirait pas de soi. Le voisin rentre enfin chez lui. C'est là, dans un cagibi, dans une dépendance, que j'atteins la lampe sans parvenir à l'allumer. L'essence dégouline et je crains pour ma santé. Je me souviens de gares absurdes, les noms de ville auxquels personne ne croit. Elles sont exagérément petites et évoquent des paysages fantastiques en papier-mâché qui ne font pas rêver. On ne saurait s'arrêter à ça, semble dire le train qui s'y arrête tout de même mais sans laisser à personne le temps d'y accoster, à peine une pause à chaque fois, suivie d'un seul coup de cloche toc à la résonance étriquée, qui indique déjà la reprise du trajet. Et c'est au bal qu'on doit arriver.

"Le monde n'est pas là, ce qui s'appelle personne, j'étais un peu fou d'inventer la nostalgie avant d'avoir des souvenirs. Ça devait être celle des autres, comme ils en avaient déjà assez. Je n'étais pas là pour ce que je croyais. Maintenant que je n'en ai plus, je vais inventer l'avenir." - "Vous êtes un bien beau parleur, monsieur." - "J'aimerais encore être la banquette d'où vous me regardez. Où donc ont-ils mis toute la musique ?" - "Elle est partie, elle s'ennuyait, elle se repose. Je lui garde la plénitude de ses sentiments, monsieur. Qui est votre camarade qu'on voit là, tout à ne pas faillir à ce qu'il sent ? Vous êtes venus avec ? Il a l'air bien inquiet." - "Que voulez-vous que je vous dise, il l'est. Si nous allions ensemble."

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