Un meurtre réussi, ça vous laisse les bras ballants, ce n'est pas bon pour l'activité, on s'endort sur ses lauriers et rien ne va plus bouger. On a fait tout ce qu'on pouvait, pas la moindre entourloupe, bien pensé, bien réalisé, terminé, et voilà. Plus personne à tuer - bien sûr, il vous viendrait bien de ces élans parfois, mais celui-ci est déjà comme mort, celle-là n'est pas à portée de flingue, il faudrait vraiment aller la chercher pour l'assassiner, ces méchants sont trop changeants, ces gentils sont désarmants... Les bras ballants, rien à tuer à part le temps.
Alors je m'étais mis au quotidien, j'entends, les choses administratives, le ménage, bonjour aurevoir, toute la panoplie. Ça fonctionnait. Moi qui n'aimais qu'être en butte avec tout, les choses roulaient, ça s'articulait sans faute, et quand je râlais ça tombait à plat.
Si, ma cafetière s'était remise à tout dégueulasser, ça faisait des petits grains, et pscht sur la plaque électrique, et du café imbuvable - j'ai tout jeté, tout nettoyé, et puis voilà - mais ça ne m'énervait plus en vérité, je m'étais même mis au thé. La boisson des ramollis et des gonzesses, sans être sexiste.
Ça m'était arrivé quelquefois cette histoire de cafetière, je pense que c'était simplement la verseuse que j'avais positionné à la va-vite, ce qui faisait que le système anti-gouttes se mettait à déconner. Bref, il n'y avait pas mort d'homme en l'occurrence - même avec la meilleure volonté du monde, pas la moindre mort du plus petit homme.
Le thé, les trucs du quotidien, et quoi, changer les draps ? Aimer l'humanité ? Même ça, ça me prenait des fois. Je croisais des gens qui disaient des choses bêtes, et je me disais que, non seulement ces choses bêtes me donnaient bêtement le sourire - c'était un type qui disait n'importe quoi pour plaire à une fille, elle se mettait à rire et plus c'était bête et plus c'était drôle, enfin, j'aurais haï ça normalement - mais en plus j'en rajoutais dans cette espèce de bondieuserie laïque genre les pubs pour Benetton ou les prêchi-prêcha de travailleurs sociaux saouls en soirées, j'en rajoutais en me disant qu'avant je détestais ça parce que c'était les gens, et que maintenant, parce que c'était les gens, j'y prenais goût et je me marrais, super.
Du thé, du thé, du sucre et du thé. Mes flingues rouillaient dans le grenier. Mes impôts servaient à construire des routes et des écoles. Le gouvernement et moi nous ignorions parfaitement, et s'il nous arrivait de se croiser par erreur, on se faisait des politesses à l'hypocrisie marquée, sans rien de décidable. Je ne pouvais pas tuer le gouvernement.
Les amis qui se chargeaient de l'attaquer ne comptaient pas sur moi, je n'étais pas au courant des résultats de foot, alors, pour planifier des attaques et pratiquer la révolution, vous pensez. Ma révolution c'était le thé, et puis de toutes façons je me connaissais maintenant, j'étais du genre dommage collatéral et balles perdues. A eux les drapeaux noirs, les élans lyriques, la mauvaise foi pérorante, la légitimité du combat, le vous comprenez nous n'avons pas le temps pour ça, les nous et les à long terme, les causes supérieures, les avant-gardes, l'ébullition culturelle, les serrages de coudes et les nuits tardives, les cafetières qui fonctionnaient et le jeu des 7 familles - à moi, l'ébullition de l'eau, que de l'eau, à cent degrés, puis on laisse un peu refroidir et un sachet d'earl grey. A moi, la bergamote.
La prochaine fois que je ferai un crime parfait, je me débrouillerai pour le rater un peu - parce que bon, au moins, ça fait des buts, des aspirations comme ils disent. C'était frustrant, à se demander si qui que ce soit avait remarqué que je l'avais tué, cet enfoiré. Il m'arrivait de houspiller son fantôme : "T'as pas de famille ou quoi ? Et que fait la police ? Alors, comme ça, moi je peux tuer impunément un type comme toi, puis retourner lézarder au soleil sans que rien ne se passe ? C'est quoi ça, et la valeur de la vie humaine, bordel ?"
Puis comme à chaque fois que je me fâchais un peu, je passais un coup d'éponge sur la table, faisait un brin de vaisselle, et puis, tiens - wouhou, pourquoi ne boirais-je pas un petit thé ? Miam.
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