Phénix ou l'éternel débitant

On pourrait croire que mon but caché
était simplement de me détruire la santé
mais ce matin je comprends

je veux faire rire mes buralistes

seulement comme pour tous les objectifs de ma vie
à force d'essayer
à force d'ergoter et de mégoter avec l'absolu
tout s'est un peu embrouillé
et quelque chose d'amer et de forcé s'est immiscé
si bien que quand ça arrive
comme ce matin
et une fois tous les cinquante sept ans

on se retrouve décontenancé d'être drôle et séduisant
effrayé par une réussite qu'on n'attendait plus qu'en la raillant

- chaque moment heureux pousse comme une petite fleur fragile sur un charnier d'espérances abandonnées
la vie a l'odeur bizarrement agréable du désodorisant utilisé dans les maisons de retraite
et suffocante de l'encens cache-misère des cendriers
d'à peu près tout je dirai  "je ne sais pas ce que c'est mais ça doit être allergène"
chaque année je m'étonne d'avoir été tellement plus vieux l'année d'avant
sans être bien certain de rajeunir pour autant
d'où mon goût modéré pour les anniversaires
et mon désir désespérément sincère
de faire rire mes buralistes etc -

la prochaine fois peut-être
autour de ma cent-quatorzième année
je rirai avec mes buralistes et nous continuerons
à échanger des vannes
d'un petit matin
à l'autre petit matin

Kreu ! kreu !
ah ! ah !
aaaaargh !
ah ! ah !
trente-six-mille nouveaux euros s'il vous plaît !

nous rirons
comme des fous
de rire sans cesse
nous mourrons et renaîtrons, oui ;
une belle tranche, nous nous paierons.

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