NP3

je ne suis pas doué pour l'expression brute de la rage

j'admire ça chez les autres mais
chaque fois que ça m'arrive à moi j'ai juste l'impression
d'une faute de goût

cela dit je me souviens d'un moment où j'ai saisi un cd marqué d'une amitié défunte pour le casser en deux
et où je me suis demandé une fois la galette explosée
avec la même curiosité moqueuse, incrédule d'un ami envers son ami

"Oups, ne va pas te faire de mal avec les éclats ! Hé bien, ça t'a aidé à te sentir mieux ?"

je me suis répondu

"Oui"

pas tant pour le geste théâtral dérisoire
pas tant pour la musique perdue
- il fut toujours temps des années après de la réécouter,
et plus intéressant encore de la retrouver -
que pour le plaisir de m'entendre me demander ça
que pour m'être cette fois-ci
considéré envers moi-même comme un ami
moqueur, incrédule mais
un ami.

Aujourd'hui
mon poème essaie de tordre une musique tellement dématérialisée
qu'on a oublié

de me l'envoyer

c'est du silence que je parviens difficilement à tordre et à briser
en ricanant mais

c'est toujours un coup de balai de moins
à passer, comme dirait

un ami.