"Je ne sais rien de plus déchirant qu'un drap" - spirale rapportée de Grégoire Bouillier


J'ai lu un livre. C'est un évènement en soi. C'était Rapport sur moi, de Grégoire Bouillier. Il m'était offert par une amie, Milady Renoir dont je sur-recommande le blog. 

Ça parle assez peu de musique, mais dedans il y avait ça, qui m'a fait un bien fou et qui m'a fait sentir moins seul après tout à être venu à la pop et au punk par l'expérimentation bruitiste, au jazz par le free, au joli par le viscéral (et gardant en filigrane dans le joli le viscéral, comme Pascal Comelade plus clairement que d'autres le fait selon moi). Et qui m'a fait rire aussi. 

"Lorsque je gagnai à seize ans mon premier salaire, j'achetai un magnétophone quatre pistes Akaï ; toute la journée je me revois occupé à enregistrer le bruit d'un drap qui se déchire et celui d'une porte qui se ferme. L'idée m'en est venue sans que je sache comment. Je ne me pose pas la question. J'ai juste envie de faire de la musique et, ne sachant jouer d'aucun instrument, je fais avec ce que j'ai sous la main. 

Mais le magnétophone ne parvient pas à restituer les sons que j'ai en tête. Ce ne sont pas mon drap qui se déchire ni ma porte qui claque. J'ai beau propulser les chambranles à la volée ou sèchement, fendre le drap d'un coup bref ou très lentement, les sons qui me reviennent par la bande restent approximatifs. Je m'obstine cependant, captivé par l'artifice de mon dispositif. J'ai l'impression d'évoluer dans un autre temps. C'est une expérience inédite. Pour une fois ce n'est plus moi le problème, mais le micro. 

A la fin, j'obtiens un mixage qui fait illusion. Il est le meilleur morceau de musique jamais enregistré puisque j'y ai mis le meilleur de moi-même. Les claquements de porte font la rythmique et les draps qui se déchirent jouent la mélodie. On dirait des riffs de guitare électrique. Parfois un orgue de cathédrale. Le morceau dure huit minutes. Je l'intitule "Dans de beaux draps". Il s'en dégage une âpre harmonie répétitive qui m'émeut. Quelque chose d'africain et de futuriste à la fois, avec, au milieu, un passage qui dilate le temps jusqu'au silence. Je dois l'écouter un milliard de fois. Jamais je n'ai entendu un truc semblable. C'est quelque chose que j'ai inventé. Je le fais entendre à mes copains. Ils trouvent ça nul. Ils veulent écouter le dernier Rolling Stones. Ils préfèrent travailler les partitions de Marcel Dadi et fumer des joints." 

Ça ne parle pas beaucoup de musique sinon, à part de Zappa et ça donne de bonnes raisons de l'aimer, mais moi je ne l'aime pas. Je me dis : quand j'arrive à terminer un livre, je n'ai qu'à faire une spirale, c'est moins passif qu'un youtube après tout. Sur ce, j'ai des amplis à bouger, je nous laisse.

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