Claude Relatif


J'ai
incontestablement
moins
d'appétit
qu'un barracuda

(Dans l'arrière-salle d'une petite librairie, dans une ville de moins de six mille âmes, à l'occasion d'une lecture organisée par l'association Des Lettres, Des Doigts, réunis autour d'une petite table, en épicéa, avec des micros posés devant presque chacun, c'est-à-dire quatre pour six, mais débranchés parce que l'ampli ne fonctionnait pas et que « de toutes façons, vu le monde, on peut le faire a cappella » - a dit Dédé, les six participants, quatre poètes-lecteurs, dont le libraire même, un organisateur (Dédé, précisément), l'amie du plus jeune des poètes (qui n'est pas le libraire), à la faveur de plusieurs éternités de silence après la lecture, d'un nombre indéterminé d'éternités, se mettent à entonner avec lenteur et gravité :
« Ba.
-Ra.
-Cou.
-Da. »)

(Je rentre chez moi plein de gloire encore, toute cette gloire tous les jours, tous ces triomphes, toute cette réussite finissent par me plonger dans un état nerveux qui me rend difficile le sommeil, je songe à quand tout le monde n'était pas si nombreux à s'être décidé à ne plus m'ignorer, je songe à quoi peut ressembler tout le monde quand il n'est pas si nombreux, et je n'arrive pas à décider s'il peut décider à plusieurs ou s'il faut le laisser singulier, je songe que les mots ne sont pas très sympa, pas très cools, et que le rôle du poète est peut-être d'aider les gens à s'accommoder de leurs caractères de cochons en leur arrachant des moments d'humanité, aux mots, quitte à les inventer avec beaucoup de bonne volonté, le poète est le spectateur bon public des mots qui voit leur beauté tirée par les cheveux là où personne ne s'illusionne sur leur balourdise et leur incompétence à exprimer ni qui nous sommes ni quoi que ce soit de vivant, et le souffleur de nos sentiments, peut-être, je n'en sais rien, qui est ce poète dont je me rabats l'oreille, fait-il partie du tout le monde pas si nombreux, est-il nombreux à lui tout seul, à la Walt Whitman, Walt Whitman, c'est ça ? Je songe à n'importe quoi et j'essaie de songer sans mots, je songe et je ne dors pas et j'éteins et rallume et me tords et me touche sans conviction, comme à recycler des rêves qui ne sont plus miens, puis las, tendu, je me lève et j'écris :)

Le lundi
Au soleil
C'est

quelque chose

Qu'on n'aura


Probablement pas souvent.

(Je me prépare un bain.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire