Requesciat in pop - spirale impromptue



Quand j'avais dix-sept ans, DJ Enterrements aurait pu me demander des conseils. Je connaissais par coeur la bande-son de la mort majuscule, de l'exaltation mystique et de l'élan tragique. Requiem de Mozart en indéboulonnable numéro 1, évidemment ; poursuivi par un peloton mené par Schubert, Chostakovitch, et (bon...) les chœurs de l’Église Orthodoxe de Russie. C'était aussi la bande son de mes petites morts retracées fébrilement sur mes cahiers Clairefontaine (c'est une des très rares choses pour lesquelles je ressente une nostalgie vraiment pure et sans mélange ni dérision, l'ancien design des couvertures de cahier Clairefontaine), je l'écoutais en boucle au casque et il m'a fallu acheter plusieurs fois le même disque car mes écoutes répétées mettaient en cause la prétendue inaltérabilité du support CD. Je l'écoutais pour m'exalter. La moindre vétille de regard manqué ou de jus d'orange périmé prenait des proportions lyriques qui m'enchantaient.



Du jour au lendemain, comme ça, en à peine une toute petite vingtaine d'années, je n'ai plus voulu me forcer à l'exaltation et j'ai lâché mon journal intime : j'ai laissé Mozart se retourner dans sa tombe pour d'autres que moi. La pop était venue à moi, bien en retard comme il se doit, pas très claire épiphanie, les mains dans des poches dénuées de plan, et de boussole, et de briquet, en sifflotant, la pop m'était tombée dessus par des chemins détournés, elle était toute menue et ne payait pas de mine, elle était plus timide qu'intimidante et se comportait comme l'antithèse absolue de l’œuvre monumentale de Wolfgang Amadeus : avec elle, pas de repos mais des efforts plus ou moins suivis de distanciation, du second degré, du sourire en coin, des vannes pas toujours intelligentes qui rappelleraient qu'après tout, nous ne sommes pas tous ni des génies, ni forcément faits pour mourir très vite, et que si ça nous arrive, ça n'a peut-être rien d'exaltant et tout de plutôt moche.

Du coup je ne sais pas bien si aujourd'hui, DJ Enterrements n'opposerait pas à moi mort un gigantesque panneau "RIP, NO REQUEST" à mes propositions de pirouettes pop (couronnant d'un ultime échec la plus ratée de mes carrières ratées, celle d'ambianceur de soirée), mais... Ce mélange de sarcasme et de saxo outrecuidant, daté de toute éternité, à la frontière de la parodie et du lyrisme, de la fantaisie et du désespoir, enfin bon, cette petite chanson qui n'a l'air de rien, second morceau de face B d'un groupe qui demeure encore trop obscur et a le pouvoir de dérouter à l'occasion même ses plus grands fans, la nonchalance et l'humour noir, le côté Morrissey potache de ce non-tube vertigineux me réjouissent tellement que j'en fais des phrases trop longues, à la syntaxe craignos, voire cheloue comme on ne dit plus, dans une spirale parfaitement impromptue.

Je ne suis pas arrivé à trouver les paroles sur internet, mais après tout, la première phrase : "Je savais que j'aurais mieux fait de rester couché ce jour-là" et le refrain nous donne assez de matière pour rêver et rire avec ou d'une Faucheuse un peu fauchée. Si des passants aux oreilles fines ont le loisir et l'envie de les retranscrire ici, je proposerais au récitant de mon oraison funèbre de glisser un remerciement spécial pour eux. Goûtez moi ça, ceci est bien meilleur que mon corps aigre-doux, et gardez en tête (d'enterrement) que ce n'est pas fini : cette hostie apéritive pourrait bien être l'amorce d'une compile de la mort, de ma mort, qui se poursuivrait forcément avec "Dress sexy at my funeral" de Smog. Puis, quitte à profiter de l'occasion pour continuer à faire parler les - mauvais - esprits habituels qui m'accuseront à tort de copinage post-mortem, "Je te tue" de Library Siesta (dans sa version originale, que j'avoue à ce jour préférer à ma tentative de reprise). Comme dirait Anne Bacheley, comme aurait pu dire l'auteur de High Fidelity dont j'ai oublié le nom, nous sommes des mixtape babies et une chanson en appelle toujours l'autre, et ainsi de suite, jusqu'à ce que mort tarde à s'ensuivre, ou qu'un fossoyeur municipal nous intime de la fermer enfin. Peace, nonobstant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire