Scoop


"J'ai choisi de ne plus m'exprimer parce que personne ne m'écoutait. Comme en plus je n'avais dès le départ rien à dire... Les choses sont bien faites, ou quelque chose comme ça."

La salle de presse était vide.

"Je ne vous retiendrais pas plus longtemps..." - rajouta l'ancien maître du monde, sur un ton clairement sarcastique.

Ce n'était pas à proprement parler une salle de presse, mais la kitchenette étriquée d'un appartement de vieux garçon.

"Et je vous prierais de n'en rien faire non plus." Ceci plus pour lui-même et dans sa barbe triste.

Le reste d'une saucisse froide rognée sans envie, gisait sur la grille d'un barbecue électrique posé à même le lino sous la fenêtre.

"Je n'ai rien à rajouter."

Laquelle fenêtre, rendue quasi opaque par les émanations du barbecue de la veille, donnait sur un bout d'arbre cachant des forêts de vis-à-vis.

"Je n'ai jamais eu le moindre grain de sel d'ailleurs, à peine des grains de sable, j'ai bien râlé sur des cadeaux et des embrouilles qui ne m'étaient pas destinés, de toutes façons, et de toutes façons pour commencer je ne vois même pas comment finir cette phrase déjà de toutes façons, et je suis le premier à me foutre totalement de ce que je suis en train de vouloir dire ou pas, à personne, alors vous voyez, qui que ce soit personne là hein, je vous donne raison de ne même pas seulement voir que je pourrais exister, hein, de toutes façons, de toutes façons je ne le vois pas non plus et je ne sais plus ce que je voulais dire déjà de toutes façons."

Platane ? Espèce de chêne générique ? Enfin plutôt arbre vague et flou de mobilier urbain. Arbre numéro 26725, option tronc légèrement déviant, réduit à travers la fenêtre translucide à une silhouette même pas inquiétante aux bras-branches velléitaires, dansant seuls au mauvais gré de peu de vent un smurf vain sur rien.

"Je ne vois que cette saucisse froide et cet arbre flou à travers la vitre rien moins que transparente à cause du barbecue. Et j'entends dans les oubliettes grouiller les reporters absents de formules toutes faites sur ma défaite non homologuée à faire mon trou dans ma propre existence."

Arbre des voisins et mobilier urbain dansant un smurf vain sur rien, saucisse froide et fenêtre opaque. Le tour du locataire.

"Et des reporters absents depuis des oubliettes, ça ressemble pas mal à du silence, tiens. Enfin voilà. Merci pour cette tribune, néanmoins. Merci à toi, toi, toi saucisse froide sans qui, toi table, toi fenêtre, toi moi qui râle, toi moi qui se plaint, toi moi qui se plaint de se plaindre et qui de toutes façons, merci narrateur reporter absent, merci formules toutes faites et traits proprement impertinents, merci merci, merci de rien, de rien à tous les mercis, et je ne vois pas comment je pourrais aller plus loin sur une telle absence d'idée au départ. J'ai smurfé loin des battles, moi arbre vain de mobilier urbain, et le spectre de la redondance me spectralise de sa redondante spectralité, alors merci pour tout de rien et pour de bon à aucun aurevoir ni à plus forte raison d'adieu."

Saucisse, fenêtre, barbecue arbre, voilà, voilà...

"Ne nous faites pas ça, ancien maître du monde. Nous avons besoin de vous, j'ai quelques questions à vous poser, ne nous lâchez pas s'il vous plaît. Je vous en supplie humblement. Je vous aime. J'ai besoin de vos nouvelles. J'ai besoin d'entendre votre voix et ma vie est plus intense et mieux payée quand vous êtes à mes côtés. Sans vous rien n'existerait." - répondit enfin la dame de l'INSEE chargée d'une enquête sur l'inactivité, et sacrément douée dans son métier.

2 commentaires:

  1. du moment que les forêts de vis-à-vis sont dissimulées par l'arbre...

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  2. Et de tomber aujourd'hui sur cette phrase de Michaux : "Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas."

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