10 - Séchage et remballage

Les spirales et leurs entraves. Quelqu'un avait dû laisser une enclume dans la poche d'un pantalon, pendant un temps un essorage apocalyptique a fait vibrer les murs de la plus bruyante des teknos ; on s'entendait fort bien penser cependant, parce qu'on ne pensait que silence et chaos et qu'il y avait de la place; quand on est d'accord avec le monde, on est d'accord aussi avec ses tremblements et ses paniques et l'impression qu'il donne d'être à deux doigts de tout détruire, y compris soi et son linge sale et les bizarreries de sa conscience, regrets et projets, rêves éveillés et pensées magiques, rages plus ou moins détournées et pardons donnés à la volée, sans y penser. Rien ne dure et quand on le sait on peut tout encaisser. Quand on est d'accord avec tout, ce qui nous détruit, ce qui nous embellit, tout ce qui nous oublie et tout ce qui nous aime, les choses et les gens, on n'a plus rien à dire.



Alors les spirales ralentissent et on les laisse parce qu'elles n'ont jamais eu besoin de nous. Nous en avons emprunté quelques unes, de jolies spirales transversales qui ne nous ont pas mené loin, mais nous ne comptions que flâner de toutes façons. Ce n'était pas les spirales de la vie active, qu'on doit prendre à heures fixes et sans oublier son cartable, ni les spirales de grands voyages pour lesquelles il faut s'équiper. Ce n'était que nos modestes spirales de laverie, une balade avec un but d'une importance très relative, faire partie de cette société qui sent ordinairement bon, qui fait moyennement peur, qui porte du linge plus ou moins propre et qui se conduit généralement bien. Toutes les deux semaines environ, je traverse un kilomètre avec mon sac à dos. Deux heures après, je reviens avec mon sac à dos. Entre temps je crois penser ou je me sens m'impatienter. Transit sans destination, rêverie obligée. C'est une habitude agréable, un juste milieu entre l'intime et le social. C'est aussi la pire des corvées parfois, et un luxe de 10 euros dont je prétends volontiers : "c'est bien gentil mais je m'en passerais bien".

Je pense ça aussi parfois de la vie, confusément et sans aller au bout de ma pensée, je ne suis pas meilleur philosophe que le moins du monde écrivain. Je "songe" des sarcasmes affectueux en direction de cette bonne vieille vie, fichtrement rébarbative mais sympa, dans le fond. Elle a cette vertu équivoque de mes tee-shirts préférés, qui supportent le soin plutôt approximatif que je leur accorde, parce qu'ils tiennent dans la durée, qu'ils n'ont jamais été trop moches ni trop beaux, trop repassés ni trop troués, elle porte bien son style ordinairement négligé, elle se délave joliment, elle se rétrécit gentiment ma vie. Spirales, babioles, foutaises à l'occasion, grandes et belles illusions les dimanches.

Je ne suis pas meilleur philosophe que le moins du monde écrivain. Cette phrase vous va ? Moi ça me va.



Donc : rien ne dure mais certaines choses longtemps. Qui avait besoin d'entendre ceci ? Je lève le doigt, ça en fera déjà un. Comme je ne m'entends pas trop bien avec la rubrique Le Clin d'Œil Insolite de la réalité, je n'ai même pas mentionné qu'à côté de la laverie se trouvait le local de l'association des crématistes. En vitrine (et sous grillage, ce n'est pas souvent ouvert quand j'y suis), on lirait sur une A4 d'imprimante, en quelque Arial ombré  : "Notre vraie tombe c'est le cœur de ceux qui nous aiment" (en vérité la formule est bien plus efficace). Ç'aurait été parfait (de mon parfait à moi, du parfait maladroit).

Et d'appeler nos mères.

Spirales, spirales ombilicales, cordons en spirales, nuées de guitares floues expirées, brumes de confuses idées, tire-bouchons en queue de cochon pour déboucher des bouteilles à la mer échouées, Œdipe is your love et Rage Against the Machine à laver, moi froid jamais je n'échangerai un baril ça c'est bien vrai, en premier et dernier recours, parce qu'il ne reste et n'y a jamais eu que ça. A moins que ce ne soit encore que pour faire une phrase. (Je suis dubitatif sur le passage aux airs de postface ou d'épilogue ou de leçon. Je ne vois même plus les moulins à vent.)
 
Je ne vois même plus les moulins à vent !




J'aime bien tout ça et je n'en enlève rien, mais je crois que c'est fait. Je pourrais radoter longtemps (et me connaissant je doute d'ailleurs de parvenir à m'en passer, ce serait aujourd'hui mon but, m'en passer).

Je pourrais radoter longtemps.

La tempête du cycle d'essorage est passée. Le triple séchage a détendu les élastiques de mes sous-vêtements, qui à présent ornent mes modestes attributs avec une juste distance, salvatrice et sereine, ni trop pointilleuse ni trop évasive  - et, en ce qui concerne le fameux "Undercover", une authentique ligne serpentine de vaguelettes élastiques sur toute la circonférence de mon bas-ventre (je vous épargne les photos). Je me sens bien dans ma peau et je n'en dégrignote pas (je ne mordais pas vraiment). Je tiens à ma vie comme mes vêtements tiennent sur moi, de manière un peu lâche, un peu loose, mais constante.

Je me trouve bien embarrassé, je ne vois même plus les moulins à vent. Maintenant je cherche une dernière phrase et je lis des articles sur la Syrie. Je lis des articles sur les Inrockuptibles. Je mate des youtube. Je joue du Casiotone. J'embrasse une amie. Je fais la vaisselle. Je fais du travail. Je ne fais pas de travail. J'emprunte de l'argent. Je vais à la laverie. Je cherche une phrase pour finir. Spirales, spirales, spirales. Oh tiens, celle-là n'est pas mal, jusqu'à nouvel ordre.



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