C'était
mon anniversaire - ce sont des choses qui arrivent, même si on ne les
souhaite à personne - alors je me disais, "c'est le jour où se faire
plaisir, c'est le jour où être un peu fou" - suis passé au rouge sur le
boulevard où les voitures roulent vite. J'ai vu la Renault quelque chose
blanche avancer vers moi et je lui ai jeté un regard qui avait pour
exacte signification : "Ne m'écrasez pas s'il vous plaît, c'est mon
anniversaire aujourd'hui. Pas que je tienne absolument tous les jours à
rester vivant, mais aujourd'hui je répète et ça m'embêterait de mourir."
Mais j'étais déjà sur le trottoir, à peaufiner ma fin de phrase, à
l'heure où la voiture traversait tranquillement la route. Avait-elle
entendu mon regard ? Je ne pense pas, elle devait avoir d'autres choses à
faire, rouler droit, surveiller son allure, par exemple. Anniversaire
ou pas, je suis devenu et reste un piéton prudent : les crashes, les
rencontres impromptues et les coïncidences me sont comptés. La roue
voilée a un tout petit peu tourné, il m'arrive désormais plutôt rien que
n'importe quoi.
Loin derrière est donc laissé
l'un des principes de Don Quichotte et de nos donquichottismes (de là à
retrouver la citation exacte, ne m'en demandez pas tant) : "Mieux vaut
quelque chose que rien". On dira : c'est imprécisément le contraire,
l'imprécision nous laissant une chance qu'il y ait parfois quelque chose
quand même, par surcroît de tout ce rien confortablement casé (comme
dit la chanson d'ailleurs). J'aime bien maintenant ce type qui était
tombé amoureux d'elle, qui essayait une autre beauté, anticonformiste et
tracée par personne, qui a pris des risques et qui s'est planté, qui
s'est abandonné et dont l'abandon s'est multiplié, sa ribambelle de
casseroles, sa progéniture de malentendus criards et indisciplinés,
j'aime bien ce type, l'essence du comique, le moteur du souvenir et le
remède à la nostalgie, l'homme approximatif
("les cloches
sonnent sans raison et nous aussi"), l'éternel accidentel, le bonhomme
rouge, celui qui ne pensait pas en traversant et dont toute la personne
suppliait au monde, à la lumière, à la fille, à ses amis, à tout ce dont
il perdait le fil, comme un gentil timbré auquel je me serais fait
parce que je ne pouvais pas le renier, parce que je ne suis pas un de
ces anciens junkies qui remplace son ancienne addiction par celles plus
communément acceptées du puritanisme et du moralisme, ce type dont
toutes les fibres appelaient : "écrasez-moi, saturez-moi d'éléments
gras, gavez-moi de spots et d'illusions, trimballez-moi de je ne sais
quoi en nulles parts", je l'aime bien maintenant, peut-être parce que je
ne vis plus avec et que c'est quelqu'un dont il faut être loin pour finir par l'aimer bien. Loin, vers 1983...
Je
comprends l'histoire de l'amour révolutionnaire (même si les militants
de cette cause que j'ai pu rencontrer m'ont paru non moins butés et
crétinisants que les militants d'autres bonnes causes), je peux dire
Nadja j'y étais, pas un personnage principal hein - Breton ne m'aurait
jamais laissé esquisser un cadavre de travers, vous n'êtes pas dans le
ton mon petit - mais j'y ai figuré, Nadja, dans un battement de cil,
j'étais sur le banc de touche de l'équipée de la démence et de l'art
brut, je ne comptais pas les points j'attendais seulement qu'on
m'appelle, mais c'était plié, mais j'y étais quand même, je comprends
l'histoire des enragés absolument, je comprends l'histoire de tout
renverser les verres d'eau dans lesquels j'y étais pour me noyer, je
comprends, je salue, je souris et je passe mon chemin. Je suis en pleine
onde verte pour le piéton maintenant, il me reste beaucoup de route à
faire et peu de temps, et je ne peux pas m'arrêter. "And when I hear the
doorbell ring/I can never let them into me".
Ce
qui arrive fatalement, c'est qu'on mûrisse, devienne prudent et dise
des poncifs le plus sincèrement du monde et que le réalisme de l'ennui
devienne notre parti et notre mode de vie - alors j'aime bien ce type
qui submergé par tout ne s'ennuyait jamais, et je rejoue pour lui cette
Toute Nouvelle Vie - j'ai été blessé avant - la désolation qui frappe à
la porte - douleur avec sa dernière syllabe longue et dissonante,
frottant caressant hérissant le poil.
Tout
cela était uniquement pour rire, cela va de soi, attendu qu'on n'est
pas en deux-mille douze et que moins que jamais le temps n'a eu
d'emprise sur ce fascinant personnage de fiction qui fait genre "je suis
moi" dans ce grand feuilleton à spirales rythmée de battements
cordiaux.
Et donc, je ne sais plus ce que je voulais dire.
Dansons donc seul chez soi, "sit at home and watch the tube", loin des
nuits en boîte, des feux de l'action et des poings d'hooligans imbibés.
En ingrate salopette d'un bleu qu'on dit stone, s'il le faut - mais,
dansons.
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