Zéro. Zéro. Zéro,... Zéro. Le décompte était à bout. On travaillait
les sorties d'usine. Quelque chose poussait versatile, empruntait les
accès, la routine des ronces noyait, le passager embarqué marchait à
moitié, secoué qu'il était de quai en quai, l'information filtrée des
hauts parleurs distordus, plateformes réverbérantes, bruit singulier des
foules, remises à l'heure sur les cadrans tourbillonnants, transit
éternel, stations impossibles. Virevoltaient les panonceaux, donnant du
flou partout, un vague flou qui prenait soin de vous, vous entortillait
dans le commun d'une emprise légère, nous rendait tous là chacun comme
un point dans des lignes qui bougent, faire partie de soi n'était plus à
l'ordre, la consigne, le vélodrome, la piscine, le tambour, de quai en
quai et de zéro en zéro, des pages tournées de livre en livre, des
copies collées, tapis volants enroulés, stations impossibles,
changements et correspondances, et chacun de soi comme des points
validés, on partait à nouveau à zéro, en zéro. L'ivresse nous
ravitaillait d'impossibles êtres soi. Les grands tunnels lardés
d'issues. Le potentiomètre aux aguets. La cohue solidaire des heures
entre elles. Les brins secs de piquant, l'assaisonnement de tout. Faire
partie de soi n'était plus à l'heure. Chacun se faisait le moment d'un
autre. Chaque autre se perdait en temps et heures. Zéro, s'obnubilaient
les gens, destination, tendance, origine et fin, zéro de soi tirant
profit des fusions. On se comprenait si bien, qu'on était chacun pris
dans le compris de tous. Compartiments de communion, transports,
effusions.
La foule en bruissement tapi, des éclats
partaient parfois, les langues travaillaient, les bouches
engloutissaient, comme les panonceaux de la gare chacun son tour on
attendait sa révolte en face, qu'il y ait du sens à être en butte, qu'on
puisse marquer le coup jamais, doigt levé des enfants-madame, tambours,
apartés, liens défaits des phrases et tomber net et d'un coup dans
l'opaque intime, broyeurs d'atomes, caverne attenante aux rails des
passions déferlantes, tunnel lardé d'issues closes, réveil asynchrone
contre l'écoulement des rêves sous le manteau.
"Plus rien
ne m'indigne, j'accepte tout, j'en ai débattu j'en suis sorti vaincu,
blasé ni aigre ne me convenaient pas non plus, je me suis tu et comme ça
n'a pas suffi je me suis alors empêché de penser, et comme ça n'a pas
suffi je me suis fait une réduction d'existence qui passe sous les
portes, une petite souris d'existence inoffensive, et comme on
m'écrasait parfois une patte ou deux sans penser à mal, juste parce
qu'il faut bien que le monde marche, je me suis trouvé de nouvelles
façons d'être immobile, comme une gelée flasque de souris, immobile et
glissant avec des repères dans les micro-mouvements, et comme j'ai
renoncé au renoncement j'expédiais des désirs légers et des chansons
désespérées, de peu de portée, contre les plinthes, mes murs à moi, je
m'acoquinais de la poussière, je flirtais avec les acariens, j'enviais
les mollusques, moi petite souris jell-o-mouse, et comme je ne voulais
pas créer d'embarras je ne portais pas ma mort en collier, je n'avais
pas de quoi m'encombrer d'accessoires ni porter quoi que ce soit, et
comme ça ne suffisait pas je traçais avec un bout de ma salive chiche
une ligne d'horizon sur mon bout de plinthe, et mes intentions de rêver
se tenaient gentiment bien alignées en à peine deux dimensions sur ce
tout petit bout d'horizon, et tandis que je perdais doucement mon corps,
mes vertèbres et mes scolioses, on m'a envoyé ce papier où il m'était
demandé si je ne voulais pas participer."
Zéro... Des
émeutes de flemme avaient lieu quelque dimanche sur deux, quelque part
en ailleurs, les slogans dispersés s'essoraient lentement, "Beauté du
zéro", "Nullité cachée des autres chiffres", "Ne se prononce pas",
"Manque de conviction et manque de foi, je ne sais même plus en quoi",
des petites troupes de gifleurs en fin de manifestations, vers dix
heures du matin, tentaient de semer la discorde dans les rangs hébétés,
pas bien réveillés, tentaient au moins de se moquer, mais leurs petites
mains accrochées à leur petits bras ne faisaient que s'enfoncer dans les
bajoues molles des émeutiers maussades, qui alors parfois
démastiquaient un temps leur chewing-gum pour rétorquer à la vitesse
d'un cheval en fin de vie : "Mouuh, que faites-vouuus... Mouuuh, nous ne
faisons rien de mal, nous marchons dans la rouuue en manifestant notre
point de vouuuue...", et les gifleurs étaient déjà partis, doigts levés
d'enfants-madame.
Alors, à l'approche de l'heure médiane,
les gyrophares tournaient à la vitesse d'un kebab, les sirènes ululaient
de frêles quartes, et les pieds d'une police à l'uniforme froissé
s'enfonçaient par erreur dans le beurre d'un promeneur d'automnes, la
souris dévertébrée, délocalisée, qui s'était choisi ce dimanche erroné
pour oser un petit tour hors de chez-soi. Un bol d'air mou commun. Les
grumeleaux éclaboussés d'une pâtée de sociabilité.
"Sur ce
tout petit bout d'horizon il y a eu amour et guérison, colère et
dévastation, défonce et démission, avec des éclats de fiction comme des
points d'orgue entre les paires. Tel personnage dans telle situation. Le
seau tombe, la gloire lui est acquise, un verdict est prononcé, quelque
chose qui n'a rien à voir se passe loin. Le personnage rencontre. De là
découlent. Tout cela sur un petit bout d'horizon grésillant tracé d'une
bave insécure d'hommage aux limaces. Cela mène à tout, pourvu qu'on s'y
installe dans l'errance, qu'on y installe son errance sans y chercher
d'issues. Cela mène à tout sans en sortir. Tunnel lardé d'autres
labyrinthes lardés d'autres tunnels."
Puérils gifleurs et
moelleux mastodontes, gyrophares agnelins, flux dispersés d'avance
furent reportés en un jour de la semaine, ce qui créa des dissensions
qui ne préoccupèrent bientôt plus personne, si fragile était la
cohésion, si incertain l'ordre des jours.
Quand la souris
médusée perdit son petit bout d'horizon, le monde-même et ses mouvements
divers avaient pris la consistance de son corps mou, une grande gelée
grise désincarnée où s'insufflaient à force de temps des penchants et
des prérogatives comme autant de vaines vaguelettes, ondes creuses et
sans écho, galets coulés avant le moindre ricochet.
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