deux mille vingt quatre - déglaçage

Je me sens aujourd'hui
ces derniers jours
ces jours avec dedans les derniers
les derniers des jours et ceux qui les ont précédé
depuis un certain temps
depuis un certain étang
sur la rive d'un long temps
je me sens depuis le plus clair de la nuit des temps
depuis mes cinquante ans
depuis mes cinquante longtemps
d'aujourd'hui qui ne date pas d'hier d'ailleurs
d'ailleurs et de tous les longtemps
je me sens pourtant
Trump au coude-à-coude Trump au coude-à-coude
ensorcelés par la déesse pop
virage totalitaire orages
massacres et génocide


Je me sens aujourd'hui
dénué

j'avais le roman tous les jours une petite heure
j'avais les poèmes quand les rêves se laissaient noter au réveil
j'avais cette vérité que je n'ai jamais autant exploré les bords et le centre de ma créativité
depuis que je m'occupe assez souvent le matin des enfants
j'avais les matins des enfants et le travail le soir
de l'édification d'un roman
vision drôle et astucieuse d'un monde complexe qui se révèle
passionnant dès qu'on s'intéresse vraiment aux choses

j'avais un parti, des options
un point de vue bien au-delà des opinions
j'avais des personnages qui me réveillaient le matin et me taquinaient d'où j'en étais
"eh mon prince, tu t'es vu" comme dans la chanson de Leonard Cohen
j'avais le cœur vibrant d'un ado et la classe d'une Beyoncé locale
j'avais l'expérimentation sonore et le contrepoint rigoureux
j'étais putain de choral j'étais foutrement fugue
je m'écrivais tout en préparant le petit-déjeuner

tout en sombrant parfois tout en étincelant de joie
j'enquillais j'enquillais quel que soit ce que je ressentais
des refus j'en faisais des pickles
tort raison je m'en battais
société en déréliction je m'en battais
libido j'écris ton no
ah tiens un slogan
oh tiens un reel de réel
oh tiens qui est cet écrivain sorti de nulle part
et pourquoi n'est-il pas allé beaucoup plus loin
le complot de tout, nul doute
le complot d'arrêter de se poser devant l'ordi pour se poser l'unique bonne question
"qu'en est-il de
qu'en est-il de ?"
Je n'ai même plus leurs prénoms
mes personnages n'arrivaient plus à être jeunes
n'arrivaient plus à être moi
et je ne savais plus quoi penser de quoi

je sais faire le pain d'épices
je sais faire la bolognese maison déglacée avec une touche de sauce yakitori
ou bien teriyaki, je confonds toujours les deux
mais je parle de celle un peu plus épaisse qu'il faut diluer dans l'eau
pour déglacer déglacer les oignons
déglacer déglacer déglacer
je sais pour déglacer
tu sais je regarde top chef et je sais ce que veut dire
déglacer
je devrais écrire un livre de la recette
un livre d'une recette
ça s’appellerait déglacer
déglacer

les voilà les oignons recroquevillés pas fondus
certains ont déjà le bout de leur tête cramé
certains ressassent leurs échecs au comptoir mais leurs potes devant qui le faire sont morts
leur verre vide leur bar fermé pour cause sanitaire
plus asséchés que glacés ils sont

c'est le moment précis où la meilleure chose qui puisse leur arriver
c'est d'être déglacés
déglacés socialement et noyés dans un bain à base de sauce soja et d'eau
qui va les aider
les "pousser gentiment vers la porte de sortie"
les amener à la gloire ultime qu'est leur
caramélisation

la caramélisation c'est un peu la mythification des oignons
mais ce n'est que mon avis bien sûr
je ne souhaite blesser personne
(ou alors vraiment tout le monde au moins
pas faire semblant quoi
rien qui soit récupérable)

(c'est mon côté révolutionnaire
entre parenthèses et concernant les oignons)

d'où l'expression bien sûr
sanctuarisant (ouais je pêche les mots dans les dépêches)
le fait que ce ne sont pas les vôtres
car sont-ce les oignons au fond
de cocotte que ce soit
sont-ce les oignons au fond de qui que ce ver à soie
sont-ce les oignons au fond
sont-ce les oignons au fond de quoi

passons en monosyllabes hop
de quoi toi tu sais hein ah mais quoi tu vois
au fond de quoi ouais

je vous entends pas

chantait le rasta blanc écumant d'un coin chelou des années 90

faites plus de bruit

allez

oh je l'ai déjà fait celui-là vous l'avez lu
moi je ne l'ai pas relu en tout cas

je devais poser une question à une amie et je ne l'ai pas fait
mais j'y viendrai
il faut que je trouve ma délicatesse
il faut que je trouve mon mojo de sens de l'humour qui permet de demander tout

eh salut toi alors tu vas poser des bombes ou quoi
allez je déconne ça va

bon toujours est-il que j'avais une phrase
au début de ce poème-ci
qui exprimait bien exactement ce que je ressentais alors

au début de ce poème je n'étais pas un écrivain plein de mojo avec son livre qui n'existe pas et ses fulgurants traits
fulgu fulgu fulgurants traits
j'étais très figurant au début de mon temps j'étais très loin longtemps de me figurer
quoi bon

je me sens dénué disais-je
de profondeur

j'ai creusé depuis et je ne puis
je ne puits que confirmer










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